Extrait du vieux carnet : Patron

En 2008, j’ai trouvé un carnet vierge en cuir dans la rue, au centre de Bruxelles. Sortant d’un chagrin d’amour assez important, j’usais de la première page pour y noter en titre : « La thérapie de l’ours ».
Je n’y ai plus touché jusqu’en 2009, en juillet, lorsque je partais vers Prague en stop avec une superbe accordéoniste. Durant ce séjour d’une semaine, j’ai eu l’occasion de me souvenir de ce qu’était une soirée sans finir complètement détruit par l’alcool. Cette soirée là, j’en ai profité pour écrire, dans le dit carnet, un texte en prose d’une seule traite, sans correction. Ce « poème » m’aura finalement aidé, puisqu’en fin de mois, il payait mes pintes.

Patron,

Sers moi un verre, je vais te raconter un histoire.
Celle d’un gars que tu connais un p’tit peu.
Ce type là, il était rêveur, on aurait pu penser
Que jamais le malheur ne le côtoierait.
Il était amoureux d’une dame au sourire
Aussi flamboyant que ses idées, c’était fou.
Je vais te passer les détails car c’est un peu triste et compliqué,
Mais cette femme, elle est partie, en emportant
Avec elle la flamme de ce pauvre monsieur.

Et là, c’est le début d’un long périple,
Son voyage aux quatre coins de la honte.

Il a baigné son cœur cassé dans de l’alcool bon marché,
Ce qui a fait de lui le roi des idées brisées,
Et, tel un bon capitaine,
Il a mené sur son chemin trouble le navire de ses belles envies,
Pour finir par les perdre.

Mais ne sois pas triste Patron !
C’est pile poil ce qu’il voulait.
Être seul dans les eaux troubles,
Avec des bouteilles, et de quoi fumer.

Bercé par sa folie, ce jeune voyageur a fini par penser
Qu’il ne serait heureux que dans le caniveau.
Faut dire qu’il n’était vraiment bien dans ses souliers.
Tu sais Patron, c’est pas facile,
Lorsque la personne que tu aimes le moins au monde,
Elle habite dans ton miroir.

J’te jure, ce type, il faut le voir en hiver,
On dirait un cadavre, quelque peu animé.
Mais quand le printemps arrive, il accoste,
Et descend parfois de son triste bateau.
Et là, c’est un moment intéressant.
Car ce bonhomme fait de noirceur,
Et bien, bizarrement, il s’entendait bien avec la lumière,
Bien qu’elle lui fasse un peu mal aux yeux.

Tu sais, Patron,
Je t’ai peut être donné l’impression que ce peï,
Il ne souriait jamais, mais crois moi,
C’est tout le contraire.

On aurait pu penser qu’il s’était perdu dans le désespoir,
Seulement, moi, j’ai bien vu,
Qu’il ne suffisait que d’un peu de musique,
Pour amener de la lueur dans son œil.

Comme quoi la vie, c’est pas fini,
Même lorsqu’on le veut.

D’ailleurs, sa solitude,
Et bien je vais la mettre entre guillemets.
Car une fois les pieds sur terre,
Hé bien il n’était plus si seul.
Le pavé ? Il le foulait aux côtés d’amis bien choisis.
Ses potes, tu sais, ils étaient aussi chouettes que sa vie confuse.
Et crois moi, c’est pas peu dire.
Sur le chemin du café, il devenait parfois le prince des belles histoires,
Bien que souvent il les gardait pour lui.

Tu sais, je crois qu’cet homme là, le jour où il ira mieux,
Ce sera grâce aux mots,
M’enfin bon, ça c’est l’avenir qui nous le dira.

Y’a pas de fin à mon conte Patron, et c’est tant mieux.
Si je t’ai raconté tout ça, en vérité,
C’est parce que j’ai pas les sous pour te payer la boisson,
Et je me suis dit que ça valait bien une histoire.

Et si tu m’en offre une autre, hé bien,
Dis toi que notre ami, il ira peut être mieux.

Du moins, c’est ce qu’il croira.