Témoin d'une noyade.

Vacances en camping sur la côte Atlantique, début août, grandes marées depuis 2 jours.

J'arrive en famille sur la plage après le goûter le temps que les gosses fassent quelques pâtés. On est à 400 mètres du poste de surveillance des sauveteurs, drapeau jaune et hors zone de surveillance.
À peine arrivés, le drapeau passe au rouge.

Le soleil brille mais le vent est salement présent, le sable fouette les jambes et le visage, les vagues sont importantes pour l'endroit, dans les 3-4 mètres. L'eau est très agitée, l'écume vole loin et pas grand monde de présent sur la plage. Il ferait presque bon mais le vent refroidit l'air.
On s'installe et je me dis qu'on restera pas longtemps vu les conditions.

Au bout de 10 minutes, je vois deux mecs (que je vais appeler A et B) courrir sur la plage, suivi d'une dame en robe longue. Les trois crient en direction de l'océan.
Je me retourne et vois un homme dans l'eau à 30 mètres, là où il est il est censé avoir pied (la plage est très peu pentue) mais les vagues le chahutent. Il lève les bras et crie des "à l'aide ! Au secours !!!" à peines audibles. L'espace de 3 secondes je me demande s'il fait le mariole et joue une mauvaise blague mais les trois personnes sur la plage sont flippés et lui hurlent de sortir. Il en est incapable.

Je comprends que c'est grave.
Je crie sur ma femme pour lui dire de quitter la plage avec les gosses. Elle prend les affaires en urgence et disparaît derrière la dune.
A et B veulent aller dans l'eau pour chercher la personne en détresse mais la femme à la robe leur crie de ne pas y aller.
J'hésite à rentrer dans l'eau mais comme dans les films, je voie dans ma tête mes enfants et ma femme et me résigne à rester sur le sable.
Y a tellement de courant qu'en l'espace de quelques secondes l'homme à l'eau s'est décalé de 50 mètres.
Ça fait 3 minutes que la scène a commencé et A et B me crie d'appeler les pompiers. Chose que je fais immédiatement. Je donne les infos géographiques et la situation au SDIS avec un calme étonnant malgré l'urgence de la situation.

A et B et la femme à la robe et moi suivons l'homme du regard en courant sur le sable. Il alterne position verticale et allongée. Il lutte encore mais il se prend des vagues de fou les unes à la suite des autres.
Y a plus que sa tête qui dépasse et au bout de quelques dizaines de secondes on le perd complètement. Il est sous l'eau. La noyade.
A et B et la femme à la robe hurlent, le vent souffle comme pas possible. Je cache mon téléphone dans la manche pour que les pompiers m'entendent. Je suis passé du pompier au SAMU puis de nouveau aux pompiers.

On revoit l'homme dans l'eau, inerte, retourné par les vagues. La femme à la robe est hystérique. Elle hurlent en direction du poste de secours où une personne est partie dès le début.
Comme l'homme ne se débat plus, les vagues le ramène naturellement en direction de la plage. Il est dans les vagues, à 10 mètres. A et B rentre dans l'eau mais la femme à la robe leur crie de sortir alors qu'elle a elle-même de l'eau jusqu'à la taille. Je lui hurle aussi de sortir alors que le SDIS est toujours avec moi au téléphone...

A et B arrive à sortir l'homme de l'eau en le tirant par les bras. Je les aide à le coucher sur le côté, de l'eau sort un peu de sa bouche.
Il est inconscient, les yeux ouverts, les paupières rougent et le visage salement bleu.
Les vagues continuent de s'échouer et comme on l'a pas monté assez haut il se refait submerger. On le monte le plus haut possible et le couche sur le dos.
À et B commencent à lui faire un massage cardiaque en attendant les secours.

Le SDIS au téléphone a localisé l'endroit et le gars me dit "Monsieur, les pompiers sont partis, vous allez voir arriver beaucoup de monde dans quelques minutes, continuez le massage jusqu'à leur arrivée. Je vais raccrocher." Fin de lappel.

L'homme noyé est toujours inconscient, le massage le fait vomir alors que C (un homme arrivé entre temps) essayait de lui faire du bouche à bouche. C vomit aussi. Le massage continue et 2 jeunes sauveteurs arrivent enfin. Ils prennent le relais mais sont venus sans respirateur artificiel. Ils ne font pas de bouche à bouche pour l'instant. L'homme continue de vomir par la bouche et le nez.
Un 3eme sauveteur arrive avec un défibrillateur qui ne fonctionne pas.

On entend les sirènes des pompiers au loin. Ma femme m'appelle pour me dire qu'il sont là. Les minutes continuent de s'écouler mais toujours personnes en vue. L'horreur.

La plage est inaccessible aux véhicules derrière la dune et la marée haute empêche de venir avec les quads. Les pompiers ont dû se garer à 500 mètres et doivent venir à pied par le sable, en tenue avec tous le matos.
Ils prennent enfin le relais. Le massage à commencé y a déjà 20 minutes.
La marée est tellement haute que les vagues arrivent jusqu'à la clôture en haut de la plage.
Les pompiers le transportent en haut de la dune. Durant le transport qui a duré 40 secondes, on se reprend des vagues.
J'aide les sauveteurs à ramasser leurs affaires. Tout le monde a quitté la plage, je me retrouve seul à ramasser les dernières affaires et cours jusqu'à la dune. J'y arrive juste à temps. Quelques secondes de plus et je me faisais aussi emporter.

Puis les gendarmes arrivent et le SAMU.
A et B les aide à porter leurs sacs médicalisés.

Les pompiers massent et intubent l'homme pour lui aspirer l'eau dans les poumons.

Je croise la femme de l'homme noyé qui me dit que c'est grave. Je tente de la rassurer en lui disant que tant qu'ils massent c'est qu'il y a de l'espoir. Que des fois des personnes sont réanimées après plusieurs dizaines de minutes. Pendant ce temps-là, le SAMU et les pompiers continuent le massage. Je vois pas le noyé car je suis en contrebas mais je constate que ça s'active toujours.

Les gendarment viennent nous dire de nous écarter car l'hélicoptère du SAMU va arriver et se poser.
Je donne mes coordonnées et mon témoignage aux gendarmes et entends l'hélicoptère. Je m'écarte. Il tournoit deux fois avant de se poser et coupe le moteur.

Avec A et B et la femme à la robe on discute. Ils sont en fait tous amis "de camping" du noyé. Ça fait 20 ans qu'ils viennent chaque année sur le camping, à la même période, dans les mêmes gîtes. Une "famille" en quelques sortes. C'était leur avant dernier jour sur place.

On est là sur le chemin de sable, quand la médecin du SAMU vient voir la femme du noyé et nous et fait un bilan.
Je sens que c'est mauvais signe. Je dis à A et B de se rapprocher de la femme du noyé pour la soutenir au cas où elle tomberait.

"Madame, votre mari est sous massage depuis 45 minutes, on lui a injecté pas mal d'adrénaline, on a "redémarré son cœur" mais il ne repart pas. Les conditions et son état font qu'on pourrait encore continuer à masser mais cela fait 45 minutes que son cerveau n'est plus oxygéné. Même s'il se réveillait il aurait de graves séquelles. Alors si vous nous y autorisez, on va arrêter le massage."
Sa femme acquiesce avant de s'effondrer en larmes et de crier "C'est pas possible, c'est pas possible."
A et B et la femme à la robe et les amis de camping viennent l'entourer.
Je me tiens à l'écart, seul, à regarder mes pieds dans le sable et à me dire que je viens de voir le premier mort de ma vie. Qu'il l'était sûrement déjà à la sortie de l'eau.

La veuve passe devant moi accompagnée de A et la femme. Elle me remercie. Je lui dit que je suis désolé.

J'attends encore quelques instants avant de demander aux gendarmes si je peux partir et rejoindre les miens.

Je rentre. Mes enfants me demandent si le monsieur va bien. Je leur dit que oui, qu'il a été sauvé mais ma femme comprend la vérité dans mon regard pendant que mon fils dit "ouah il a eu de la chance parce que je l'ai vu sortir de l'eau en faisant l'étoile"...
On a passé la soirée à en parler avec ma femme. J'ai pas dormi avant 3 heures du mat' cette nuit là. A me refaire le fil des événements.

Le lendemain j'ai croisé la femme à la robe qui m'a encore remercié et m'a demandé si on avait bien fait de ne pas rentrer dans l'eau. Je lui ai dit que oui, sinon ç'aurait été le suraccident et qu'il y aurait sûrement eut plus de victimes.
Les amis étaient en train d'aider la veuve à charger les valises dans la voiture. Des amis à la veuve avaient roulé de nuit pour la chercher au camping et faire la route du retour avec elle.

12 heures, point sur France 3 où l'on évoque un mort par noyade la veille.

Tl,dr : j'ai assisté à une noyade. Fatale. Baignez vous en zone surveillée par drapeau vert.