Une fois n'est pas coutume, je fais la tournée de mes patients au petit matin. Dans la première chambre se trouve un septuagénaire tout juste arrivé et je m'emploie à réaliser son observation médicale. Dès l'instant où j'ai posé le pied sur le lino de la pièce, j'ai senti que je devais faire attention, et plus l'homme parle, plus je m'aperçois que j'ai eu raison. Cette personne a fait la guerre d'Algérie, a été torturé et garde de sérieuses séquelles psychologiques. Son discours est anarchique, ses yeux fous, son intonation varie à chaque instant. Je jette un coup d’œil à son ordonnance et m'aperçois qu'on pourrait faire dormir un troupeau d'éléphants avec les médicaments prescrits.
Depuis que je suis entré, je ne tourne jamais le dos à ce malade imprévisible, je me méfie. Lors de l'examen clinique, il sursaute sans raisons parfois, fait de grands mouvements, parle fort tout à coup. Une fois mon entrée bouclée, je me rends à la salle des infirmières et leur demande inquiet de ne pas aller voir ce monsieur seules.
Deux patients plus tard, une aide-soignante vient à ma rencontre pour me briefer avant que je pénètre dans la quatrième chambre. L'occupant des lieux a traversé une crise cette nuit et était enragé. Il a arraché sa sonde urinaire, son cathéter au bras droit, a cassé un miroir et tranché avec les bris de verre sa sonnette d'alarme. Quand le personnel de garde a découvert le spectacle, la table et les chaises étaient renversées et du sang teintait la literie. Le patient ? Il dormait à poings fermés.
Informé je vais demander des explications au saccageur. Il m'explique ses agissements par le fait de douleurs insupportables qui l'ont conduit à péter les plombs. Seulement dans un second temps il m'affirme n'en avoir aucun souvenir, sa gestuelle et sa façon de parler m'invitent à penser le contraire.
Il commence à faire faim, et je me dirige vers la sortie tout en souhaitant un bon appétit aux infirmières et aide-soignantes. Elles me stoppent et commence à me parler du premier patient que j'ai vu le matin, et à ce que j'entends je ne suis pas le seul à m'en méfier. Elles ont pris la décision de toujours aller le voir à deux, elles ont peur.
Revigoré, je troque mon manteau contre ma blouse pour attaquer l'après-midi et une mission m'est adressée. Je dois suivre les ambulanciers qui transportent un patient vers un autre bâtiment pour passer un IRM. Cet homme a un parcours personnel empli de ténèbres et émouvant.
Petit ses deux parents, et du reste toute sa famille, étaient alcooliques et ne s'occupaient pas de lui. Livré à lui même, il a grandi sans éducation, sans amour, et a très vite sombré dans l'alcool. En grandissant il a côtoyé les mauvaises personnes et a commencé à boire toute la journée, tout en se défonçant au crack. Sans réel domicile fixe il vivait chez un ami friand de divers addictions, avant de se faire hospitalisé.
Maintenant c'est un homme de 30 ans, simple, qui passe ses journées à regarder des dessins animés pour tenter de rattraper son enfance volée. Dans notre service depuis deux mois, il a été obligé de se sevrer de l'alcool et malheureusement ce poison liquide a endommagé le cerveau. Ainsi il est sujet aux crises d'épilepsies qui l'épuisent physiquement et surtout psychologiquement.
Mais revenons à l'IRM, je dois l'accompagner pour lui injecter si besoin un médicament antiépileptique si une crise survenait. Arrivés dans la salle d'imagerie, l'homme panique à l'intérieur de la machine et commence à se débattre pour s'en extraire. Je le rassure et lui propose de rester dans la pièce avec lui, et je m'y emploie après m'être débarrassé des composants métalliques que je portais sur moi.
L'examen se passe sans soucis, je parle au patient quand la machine au bruit assourdissant fait des pauses, et nous rentrons sans incident dans notre service.
Arrivé dans sa chambre, l'homme allume la télévision et cherche activement une chaîne diffusant des dessins-animés. Après lui avoir souhaité une bonne journée, je retourne dans ma salle de travail où mes collègues m'annonce une nouvelle pour le moins surprenante : L'ancien soldat d'Algérie a fait une fugue.
Il y a des journées comme ça...
Ah beh quelle journée, quand j'pense que je l'ai passé au lit en train de regarder des matchs de CSGO.
Bonne chance pour la suite !
Salut,
Très bonnes péripéties aujourd'hui. Tu pourras nous raconter le dénouement de la fugue ?
Sinon, comme toujours, continues !
Il est allé lire un livre près d'une statue dans un parc, et est revenu tranquillou après dans le service, alors qu'on l'a cherché partout.
Je me suis embrouillé entre deux histoires, coquille corrigée ! Merci de votre attention ;)
@4rthur:
Bonjour. Ton approche est très intéressante, et j'apprécie le côté psychologique de la chose. J'espère que ce que j'ai ressenti dans ton texte est une sorte d'empathie, voir de tendresse ( oui j'exagère un tantinet ) pour tes patients. Je te cache pas que je vois plutôt les médecins comme des bouchers, à cause de mes diverses expériences hospitalières ( genre un accident de moto : 2 genoux et jambes cassées. Un toubib qui me sort " vous ne remarchez plus jamais ". J'ai pas eu la force de me buter alors à la place j'ai réappris à marcher pendant presque 2 ans ).
Il y a une phrase qui a retenu mon attention :
" Seulement dans un second temps il m'affirme n'en avoir aucun souvenir, sa gestuelle et sa façon de parler m'invitent à penser le contraire. "
Peux-tu détailler s'il te plait ? Je m'intéresse au comportement humain ( je ne connais pas le terme scientifique ) et c'est le genre de détail qui m'intéresse énormément. Si tu as des lectures à ce sujet je suis preneur.
Merci beaucoup et bon courage.
Empathie bien sur.
Il était nerveux, tripotait ses doigts et son pantalon, ne me regardait pas etc... Il mentait, j'en mettrais ma main à couper.
Merci de ton intérêt ;)
Je vois. Fuir le regard et les mains qui s'occupent. Merci
Je suis toujours preneur d'ouvrage sur ce type de chose, si jamais durant tes études de médecine y'a eu des bouquins sur le comportement.
Il est allé lire un livre près d'une statue dans un parc, et est revenu tranquillou après dans le service, alors qu'on l'a cherché partout.
C'était peut être une statue de Jeanne d'Arc...
J'arrête au mois de Septembre. C'est ça où la lapidation vu la pression que je subis via ma mère et ma copine hahaha
Putain passionnant, je m'imaginais la scène du début à la fin ! C'était dans un service de Neuro ?
J'ai aussi connu un patient qui a fugué.... Pour s'acheter des clopes.... Alors qu'il était hémiplégique !!
Je publie mes dernières péripéties en date. Plus qu'une et après j'aurais pu rien en stock.