Et si nous étions moins simplistes avec un sujet complexe ?

Ce soir histoire de finir le weekend sur une note légère, je me suis dit que ça pourrait être intéressant de parler pédophilie.
La violence sur les enfants est une image qui réveille, à juste titre, des réactions émotionnelles fortes (et encore, on va le voir, pas tant que ça pour certains), mais l'émotion est l'ennemie de la raison et ça peut pousser à parler mal d'un sujet qui mérite on ne peut plus d'en parler mieux.

Aussi, disclaimer : je vais parler d'un sujet sensible, obviously, et avec un angle qui pourra peut-être sembler impromptu pour certains, mais si tu n'es ne serait-ce que tenté de faire un homme de paille avec ce que je dis pour chier sur la discussion au lieu d'essayer d'avoir une approche constructive, tu prouveras n'être qu'un mec qui se pare de la souffrance des victimes jeunes ou ayant grandi avec en se taisant tout ça pour faire le beau sur le net et pour ça, tu n'es qu'un enfant de putain. Deal ? Deal.

Définitions
Revenons aux bases. Ce n'est pas parce que tout le monde galvaude le sens des mots que c'est à la sémantique de s'adapter.
Un pédophile est un individu qui a une attirance sexuelle pour des enfants prépubères. Point.
Aussi malsain qu'est cette paraphilie, cela ne signifie pas que le pédophile a fait du mal à qui que ce soit ou qu'il attend juste la moindre opportunité.
Aussi malsain que l'on puisse considérer un trentenaire qui fantasme sur une gamine de 16 ans, ce n'est pas un pédophile.

Un pédocriminel est un individu responsable d'atteinte sexuelle (on y reviendra), agression sexuelle (attouchements en gros), viol (pénétration ou rapport bucco-genital forcé) ou exploitation sexuelle (prostitution) sur un mineur qu'il soit pédophile ou non.

Les chiffres
Bien. Vous allez me dire, OSEF du dico, les gros porcs, on les connait. Des mecs un peu chelou qui attendent à la sortie des écoles en trench coats ou avec une croix autour du cou, de temps en temps un coach sportif, voire, pour certains d'entre vous peut-être, des réseaux satanistes menés par les plus hautes instances du pouvoir qui s'éclatent dans des caves de pizzerias.

Bon, vous voulez du concret alors les chiffres maintenant. 160 000. C'est l'estimation de la CIIVISE du nombre d'enfants violés ou agressés en France chaque année.

Le chiffre qu'on veut pas voir maintenant : 80%
C'est la proportion d'enfants victimes d'un membre de leur famille.
Aucune distinction notable de classe sociale… 94% des auteurs sont des hommes.
Les estimations les plus prudentes évaluent la part de la population touchée à 6%. Statistiquement, il y avait deux enfants victimes d'inceste dans vos classes.

Le grand méchant loup, ce n'est pas un paria qui marmonne des pensées décousues en surfant sur le dark net dans la cave de sa mère. C'est votre voisin. C'est votre collègue. C'est votre pote.

Tous ne sont pas pédophiles. Il faut se rentrer dans le crâne qu'en matière de viols, le facteur décisif, ce n'est pas la préférence sexuelle, c'est l'ascendant d'un individu sur un autre. Les personnes en situations de handicap mental ou moteur ont 4 à 5 fois plus de risques d'être victime de violences sexuelles. Rien à voir avec un kink. C'est juste beaucoup plus simple d'être une grosse merde avec quelqu'un qui ne peut pas se défendre ou qui n'a pas conscience de ce qu'elle subit. Et ça se vérifie puisque c'est toujours aujourd'hui une population parfaitement invisibilisée sur ce sujet.

Certains sont néanmoins totalement pédophiles. Pour être accepté sur certains réseaux, il faut fournir du contenu. Du coup 90% des contenus pédopornographiques en Europe ont été uploadés par un membre de la famille de la victime. Un père, un oncle, un grand frère… qui sacrifie la vie d'un enfant pour satisfaire leurs désirs tordus.

Eh oui car autre chiffre peu connu : un tiers. C'est le nombre d'actes pédocriminels commis par un mineur. Y a pas que les ascendants. Les frères, sœurs, cousins, camarades… Et ouais ma couille. Ton gosse est statistiquement plus en danger à un repas de famille que niveau camionnette de bonbecs à la sortie de l'école.

Allons encore un cran plus loin dans le sordide (paragraphe que j'encourage ceux que cela touchent déjà trop de passer). D'après les chiffres de la SSMSI (donc ne se basant purement que sur les dépôts de plaintes), 53% des victimes de violences sexuelles incestueuses avaient moins de 4 ans. 23%… n'avaient pas fêté leur premier anniversaire.
Et potentiellement, cela va aller en empirant. Pourquoi ? Les gens commencent à parler un peu trop librement ces dernières années et les bébés, ça parle pas.

Il suffisait de le dire
Fort heureusement, à en croire les commentaires de différentes box, ce site est peuplé d'hommes virils qui n'attendent qu'une occasion de réveiller le Punisher qui sommeille en eux. Qu'en disent les stats ?

D'après les témoignages reçus par la CIIVISE, 45% des enfants n'a pas été mis en sécurité après avoir révélés les faits même s'ils étaient crus 7 fois sur 10. Dans 27% des cas, le confident enjoint l'enfant a bien fermer sa gueule, et dans 22% des témoignages, il le culpabilisait.
Globalement, la façon dont est reçue l'information peut être encore plus délétère pour la vie de la victime que de garder le silence puisque selon la réaction du confident, cela peut quasiment doubler les comportements à risques futurs, les addictions, les violences conjugales subies et les actes délinquants. Et bien entendu, cette étude reposant sur des témoignages, cela ne prends pas en compte les suicides réussis.

Donc avant de vouloir jouer les super-héros, et si on était humains ?

Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Déjà, on en parle. On en parle mieux. Ce que je ne prétends pas faire, mais c'est déjà mieux que continuer à répandre des clichés tout en préservant les tabous et invisibilisant les victimes réelles.

Le loi a heureusement évolué. Le délit d'atteinte sexuelle évoqué plus tôt était tout simplement un rapport sexuel pour lequel un enfant à partir de CINQ ans était considéré consentant. Autrement dit, en magouillant bien ton affaire, tu pouvais passer en correctionnelle plutôt qu'aux Assises (ce que certains magistrats ne voyaient pas intégralement comme une mauvaise chose mais c'est une autre histoire).
La loi a évolué en 2021 et les juges n'ont plus à établir de contrainte subie par la victime. Mineur de moins de 15 ans ou de moins de 18 dans le cas d'inceste, c'est un viol, point.

Le 119. C'est un numéro d'urgence gratuit, 24h/24 7j/7 pour rapporter la moindre suspicion de danger (quel qu'il soit) pour un enfant. Les appels sont confidentiels et ne sont pas affichés dans les factures téléphoniques.
Vous devez le faire connaître à vos enfants et ceux des autres (en précisant qu'il faut pas faire le con avec).

L'éducation. N'en déplaise à ceux qui voient en l'éducation sexuelle une perversion de nos enfants (par ailleurs allégrement éduqués au porno, que vous le voyiez ou non) par les gauchiasses, si aucun adulte ne les aide à poser des mots sur les actes, si aucun ne leur explique le consentement, si aucun ne leur dit qu'il est intolérable qu'un adulte –quel qu'il soit et quoi qu'il dise– fasse certaines choses avec leur corps, si personne ne leur donne d'échappatoire,… ils continueront à rentrer chez eux et subir. Et tant que ce sera pas bien cadré, ce sera pas bien transmis.

Il serait de bon ton également d'exiger un véritable engagement politique sur le sujet. Nos politiciens adorent instrumentaliser les enfants parce que c'est très efficace pour le pathos et faire passer des lois de merde, par contre quand il est question d'être efficaces, les gosses ils votent pas, ils voteront pas dans 5 ans donc on va quand même pas claquer notre fric pour eux. Et c'est pour ça qu'il n'y a pas une systématisation de formations sur le sujet pour les professionnels aux contact d'enfants ou encore que le CNAIP (centre national d'analyse des images pédopornographiques) compte… 6 gendarmes. Si vous ne l'exigez pas d'eux, ils ne l'appliqueront pas.
Et si jamais, dans quelques années, un de ces trous de balle à le toupet de sortir même sur ce sujet que ça coûterait trop cher, la CIIVISE estime à 9,7 milliards la dépense annuelle causée par ces agressions, donc vous saurez déjà quoi répondre.

Enfin dernier point, sans doute le plus sulfureux. Il existe des structures appelées les CRIAVS (centre ressources pour intervenants auprès d'auteurs de violences sexuelles), composés de médecins/psychologues/... spécialisés dans la gestion d'agresseur potentiel ou non et un numéro STOP, le 0 802 23 10 63, destiné aux personnes craignant de passer à l'acte. Malheureusement, on évite un peu d'afficher des trucs à ce sujet, parce que faut comprendre, quand on amène notre gosse à son club de foot, on n'a pas trop envie de se voir rappeler que c'est un peu un des endroits où il risque de lui arriver des bricoles.
Alors je vous vois venir les fanatiques du sécateur. On l'a compris, vous voulez juste une opportunité de laisser champ libre à votre vindication, bravo, tu l'auras ta médaille Batman, en attendant toutes les fois où vous n'agirez que sur le plan répressif, vous n'aurez pas empêché un enfant de se faire violer. Mais bon, c'est moins satisfaisant pour l'ego n'est-ce pas ?


Comme d'hab, un bon pavé, mais des fois je pense qu'il est nécessaire de rappeler que les choses ne sont pas aussi simples qu'on a envie de croire le temps d'un petit com' en réaction à un fait divers et qu'il y a certaines choses qui méritent de ne pas rester cachées sous le tapis.

Et si jamais ça vous a gêné de le lire, rappelez-vous que certains vivent avec.