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Ancienne idylle

Dès les premières mesures scintille l’inimitable Stratocaster de Nile Rodgers. On retrouve la patte magique du guitariste sur Get Luckyet Lose Yourself to Dance.Le génie funk du groupe new-yorkais Chic n’a pas oublié de cosigner ses trois contributions. Il est pour le moins sourcilleux quant aux droits d’auteur depuis que The Sugarhill Gang, en 1979, s’était approprié le groove du Good Times de Chic pour Rapper’s Delight, le titre qui devait populariser mondialement le hip-hop.

Malin, Nile Rodgers profite de la collaboration avec Daft Punk pour ranimer une ancienne idylle avec la France. Avec son compère bassiste Bernard Edwards, il avait pris part à la reconversion disco de l’idole yéyé Sheila, toujours en 1979, avec le tube Spacer. La traduction en français de son autobiographie (C’est Chic, Rue Fromentin, 2013) sort opportunément au même moment que Random Access Memories. Puis le joyeux pirate embarque dans une tournée estivale et intègre Get Lucky à son riche répertoire. En retour, il ne tarit pas d’éloges sur les deux Français. Leur « vision globale, intégrant musique, image, marketing »leur vaut même d’être comparés à deux anciens clients, David Bowie (l’album Let’s Dance, en 1983) et Madonna (Like a Virgin , en 1984).

Comme son fils, Daniel Vangarde est un grand admirateur de Nile Rodgers. En 1979, il fait le voyage à New York pour se rendre au studio Power Station. Le seul but de ce déplacement est de « voir où a été enregistré Le Freak [le tube le plus connu de Chic] et ce son qui[l] ’a scié quand [il l’a] entendu au Kilt, une boîte qui se trouvait au rond-point des Champs-Elysées ». « En s’associant à Nile , Thomas et Guy-Manuel allaient avoir un succès, avant même que ce soit chanté » , avait pronostiqué le père de Thomas Bangalter.

Mais la voix qui se pose sur la guitare de Nile Rodgers dans Get Luckyet Lose Yourself to Dancen’est pas n’importe laquelle. C’est celle que l’on entendra le plus en 2013. Pharrell Williams semble transformer tout ce qu’il chante en mégahits, puisque Get Luckyest précédé de Blurred Lines, de Robin Thicke, et sera suivi à l’automne par son propre Happy…Celui dont le falsetto évoque Marvin Gaye, et Curtis Mayfield avait déjà travaillé avec Daft Punk pour Hypnotize U(2010), une chanson de son groupe NE*RD. Il en fut si ravi qu’il offrit en retour ses services, y compris pour « jouer du tambourin ».

Comme un cinéaste peut déléguer cette activité aux comédiens, Daft Punk laisse à Pharrell Williams et à Nile Rodgers le soin de s’exposer pour la promotion de l’album. Un mois avant la sortie de Get Lucky, le premier, assisté d’un DJ, avait ainsi enchaîné trois interprétations de ce titre à New York. Devant une nuée de téléphones portables et dans le cadre d’une opération organisée par un fabricant taïwanais de smartphones.

« L’aboutissement de leur quête »

Une websérie en huit épisodes, The Collaborators, est mise en ligne, réunissant les invités de l’album. Honneur au doyen. Le premier débute avec Giorgio Moroder, 83 ans aujourd’hui, auquel Daft Punk rendait hommage dès 1995 en mixant son thème pour le film Midnight Express (1978). En découvrant Da Funk, ceux qui ont connu l’ère disco purent croire que le sorcier italien à l’accent autrichien – Moroder est originaire du Trentin-Haut-Adige –, jadis au sommet avec les tubes de Donna Summer, revenait en force. Giorgio by Moroderdevait être le titre le plus long de Random Access Memories, neuf minutes de récit autobiographique condensant trois heures d’interviews, mis en musique pour célébrer le roi de l’eurodisco. L’effet pour Moroder est le même que pour Nile Rodgers : « Quand on a su que j’avais enregistré avec Daft Punk, le téléphone a recommencé à sonner , confie-t-il dans Le Monde en juillet 2014. Sociétés de management, maisons de disques, tourneurs, artistes… »

Fan de Phantom of the Paradise(1974), Daft Punk devait associer Paul Williams à son casting. Non seulement il joue le démoniaque producteur Swan dans le film de Brian De Palma, mais il est aussi l’auteur de la bande originale. Ce strict contemporain de Moroder fut le premier à éventer, en juillet 2010, le retour des deux robots. Interrogé en tant que président de l’American Society of Composers, Authors and Publishers, il annonce « écrire un album avec un groupe appelé Daft Punk, un phénomène de stade français » . Un album, c’est exagéré. Mais sa voix fragile hante Touch, une ballade composite qui semble provenir d’une comédie musicale.

Dix ans après, Thomas Bangalter reconnaît qu’avec une telle distribution Random Access Memories« partait dans tous les sens ».A germé un moment l’idée de coucher le contenu sur une piste unique. A l’opposé, Guy-Manuel de Homem-Christo a envisagé un coffret de quatre CD. « Ce n’est que lorsque le nom du disque a été trouvé qu’a été donnée une légitimité à ce qui était aléatoire , explique Thomas Bangalter. Tout à coup, le chaos s’est organisé. J’ai toujours considéré que les titres des albums avaient une capacité à organiser un tout qui relève de l’abstraction. » En français, Random Access Memoriesserait sous-titré «Mémoires vives ». C’est ainsi que l’on désigne également la mémoire informatique temporaire, qui s’efface quand l’ordinateur est éteint.

L’ancien manageur Pedro Winter s’incline devant le seul album de Daft Punk auquel il n’a pas été associé : «Random Access Memories est l’aboutissement de leur quête.Pour notre génération, il s’agissait d’être Quincy Jones. Ici, ils digèrent l’influence deThriller, de Michael Jackson, avec leur capacité à faire de la musique électronique. Cet album n’aurait pas pu exister avant eux, mais c’est aussi la marque d’une époque qui se termine. C’est un luxe créatif et leur disque le plus humain. Personne d’entre nous ne l’avait vu venir. » Sur la pochette, deux casques en un. Comme le yin et le yang. Le nom de Daft Punk n’apparaît pas. C’est inutile. On sait à qui on a affaire, comme ceux qui achetaient, en 1965, le Rubber Souldes Beatles. Le titre de l’album, lui, reprend à l’identique la typographie blanche de Thriller.

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9 mois

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Art en voie de disparition

Comme il faut écrire pour 90 instrumentistes, l’arrangeur et orchestrateur américain Joseph Trapanese leur est associé. L’inspiration est puisée en partie dans la matière synthétique de Wendy Carlos, compositrice du Tron originel en 1982, qui a travaillé avec Kubrick pour Orange mécanique et Shining. Publiée en décembre 2010 chez Walt Disney Records, la bande originale fait progresser la cause de Daft Punk aux Etats-Unis : elle s’empare de la première place du classement des musiques de film et se vend à 1 million d’exemplaires. Elle entre même dans les tops 5 généraux américain et mexicain.

La commande a surtout permis de débloquer la situation pour la suite. « L’expérience deTron avec des musiciens d’orchestre a donné l’idée de travailler avec des musiciens de studio pour Random Access Memories », confirme Thomas Bangalter. Le quatrième album studio de Daft Punk a désormais un cap : les robots vont mettre en scène une « superproduction musicale », dont la première règle, révolutionnaire pour eux, est d’écarter l’échantillonneur. Ce disque, qui met à jour radicalement leur logiciel, ne comportera que deux samples.

L’autofinancement de Daft Punk permet de ne rien se refuser : les séances d’enregistrement de Random Access Memoriesmobiliseront cinq studios : le parisien Gang, le new-yorkais Electric Lady, né des rêves de Jimi Hendrix, et trois à Los Angeles, dont Henson, sur les terres qui furent celles de Charlie Chaplin. A lui seul, le futur hit Get Lucky nécessite dix-huit mois de travail. « Ce qui m’a toujours intéressé, c’est la quête de la spontanéité, mais cette quête peut paradoxalement prendre du temps , constate Thomas Bangalter. On a travaillé pendant trois ans sur Random Access Memories . On aurait pu continuer pendant encore un, deux ou trois ans de plus. A un moment, en mars ou avril 2012, alors qu’on n’avait pas du tout terminé, j’ai dit à Guy-Manuel qu’on allait faire le mixage en juillet-août. En fixant une échéance, comme c’est le cas dans le cinéma, on recrée un semblant de connexion avec le monde. »

Avec ce disque,Daft Punk renonce à chercher le « son du futur » pour ressusciter un art musical en voie de disparition. Ceux qui n’ont cessé de vanter les vertus du studio domestique pour avoir démocratisé la production musicale en font presque le procès. «Ces quinze dernières années, ce qui était le home studio, construit à partir de différents éléments, a été miniaturisé en un ordinateur dans lequel sont modélisés banques de sons et logiciels , relève Thomas Bangalter dans Le Monde , en mai 2013. Aujourd’hui, la majorité de la pop et de l’électro est produite avec cette assistance technologique formatée, accessible à tous. »

Face à cette standardisation, le duo entend revenir aux origines en créant ex nihilo. Faire naître – ou renaître – une musique qui aurait pu donner matière à des samples de Daft Punk, sur une période de référence qui va « de la fin des années 1960 au début des années 1980 ».L’idée est follement ambitieuse : contester au passé « le monopole des grands disques ». Les modèles évoqués en intimideraient plus d’un : The Dark Side of The Moon(1973), de Pink Floyd, et Rumours(1977), de Fleetwood Mac. Au très sophistiqué groupe américain Steely Dan est empruntée la méthode : s’entourer de pointures (des « requins de studio », comme on dit dans la profession) et travailler à partir d’une base rythmique jouée par la batterie, la basse et le piano électrique Rhodes.

Aussi à l’aise dans le funk que le jazz, les musiciens recrutés ont d’impressionnants états de service, auprès de Michael Jackson, de George Benson ou du producteur Quincy Jones. JR Robinson est l’ancien batteur du groupe Rufus, qui révéla la chanteuse Chaka Khan. Son confrère Omar Hakim a été membre de Weather Report. Le guitariste rythmique, Paul Jackson Jr., a accompagné – entre autres – Donna Summer. Aux basses, on trouve le jazzman James Genus et Nathan East (vu chez Barry White ou Eric Clapton), stupéfait que les deux Français n’ignorent rien de son interminable CV. « Comme ce genre de production ne s’enregistre plus aujourd’hui, il a fallu aider certains à se souvenir de la façon dont ils procédaient » , dira Thomas Bangalter.

A cette fine équipe, Daft Punk agrège des spécialistes d’instruments plus rares : Greg Leisz est un maître de la pedal steel guitar, emblématique de la musique country. L’Alsacien Thomas Bloch joue des ondes Martenot ou du cristal Baschet. Le musicien montréalais Chilly Gonzales sera aussi sollicité en tant que claviériste. S’ajoutent vingt-deux violonistes, huit altistes, cinq violoncellistes, trois contrebassistes, trois flûtistes, un hautboïste, trois clarinettistes, un bassoniste, six cornistes, quatre trompettistes et autant de trombonistes, deux percussionnistes et douze choristes.

« Après avoir utilisé des samples des années 1970, Thomas et Guy-Manuel ont voulu connaître la production de cette musique qui se faisait en live, explique le producteur musical Daniel Vangarde, père de Thomas Bangalter. Sentir ce qu’est une bonne prise et l’ambiance autour d’un enregistrement, alors que celui-ci se fait par couches dans les musiques électroniques. Thomas pensait que c’était pour eux deux la dernière opportunité de se replonger dans cette période qu’ils admiraient. » Mais le résultat n’est pas un simple remake : « Ils ont reconstruit ces séances à leur manière. Dans un mélange de techniques, anciennes et modernes. »

L’album s’ouvre par une déclaration d’intention, Give Life Back to Music. Redonner vie à la musique. Tout simplement. A entendre Thomas Bangalter, cela n’a pourtant pas été simple : « On a composé une boucle qui marchait bien, une suite de trois accords qu’on enregistre en studio avec les musiciens. Quelques mois passent et on s’aperçoit qu’il manque une section. Seulement, le résultat était figé par le processus d’enregistrement, l’impatience et la précipitation. Il a fallu repartir de zéro avec d’autres accords au piano, réenregistrer huit mois après avec d’autres musiciens, mais en essayant d’avoir le même son. A l’arrivée, on avait trois modules qu’on a utilisés pour le morceau. »

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9 mois

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La confidence vient de l’actrice Elodie Bouchez, épouse de Thomas Bangalter, en mars, dans Le Monde : « Il ne faut pas oublier qu’il a fait de la musique parce qu’il a été recalé à l’Ecole Louis-Lumière. » Pour quelqu’un ayant vu sa vocation de cinéaste contrariée, l’ex-Daft Punk s’en est plutôt bien sorti. En 2011, il tourne S/S 2012, un court-métrage publicitaire pour la marque de vêtements Co dans lequel joue sa compagne. Ce serait anecdotique si son groupe, entité de sons mais aussi d’images, ne lui avait permis auparavant d’assouvir des désirs créatifs tous azimuts.

« Daft Punk est un projet global, nous nous considérons d’ailleurs plus comme des producteurs que comme des musiciens » , formule Thomas Bangalter, toujours dans Le Monde , en mars 2001. Des quatre albums studio du duo, Random Access Memoriesest celui qui se rapproche le plus d’un projet cinématographique : une superproduction musicale avec une distribution très majoritairement américaine mais hétéroclite, Daft Punk se réservant le scénario, la réalisation et le montage. Rester légèrement en retrait pour l’interprétation est une attitude conforme à sa stratégie du camouflage. Les premiers rôles iront à Nile Rodgers et Pharrell Williams, associés en tant que guitariste et chanteur. Il y a deux revenants des années 1970, le compositeur Paul Williams et le producteur italien de disco Giorgio Moroder. Plus contemporains, Julian Casablancas, voix du groupe The Strokes, et Panda Bear (Animal Collective) incarnent le renouveau du punk-rock et du psychédélisme. Daft Punk ne se coupe pas pour autant de ses sources électroniques puisque deux DJ de musique house, Todd Edwards et le Français DJ Falcon, complètent l’affiche.

A leur rencontre en 1986, Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter sont respectivement âgés de 12 et 11 ans. Leur amitié est forgée par une période d’initiation. Ces consommateurs insatiables de films et de disques se retrouvent dans les cinémas du Quartier latin, à la bibliothèque du Centre Pompidou ou à domicile devant un magnétoscope. Bangalter vénère deux cinéastes composant la musique de leurs films, une rareté : Charlie Chaplin et John Carpenter, l’un lyrique, l’autre terrifiant. La fascination va aux démiurges nord-américains – Stanley Kubrick, Brian De Palma, David Cronenberg ou Gus Van Sant. Vers les réalisateurs du Nouvel Hollywood, l’esthétique underground d’Andy Warhol et de Paul Morrissey ou les films érotiques fauchés de Russ Meyer. Vers le fantastique et l’étrange.

« Je me souviens d’avoir plus discuté de musique avec Guy-Manuel et de cinéma avec Thomas, raconte le guitariste Laurent Brancowitz, qui jouait avec eux au sein de Darlin’ avant de rejoindre le groupe Phoenix. Ils étaient les mêmes qu’aujourd’hui : Thomas était déjà obsédé par l’idée d’indépendance du point de vue de la création, avec la conviction que le monde du mainstream était fait pour nous détruire ; Guy-Manuel était moins rationnel et plus timide, à fleur de peau et très visuel. » Cette description semble confirmée par leur orientation après le baccalauréat : Bangalter étudie à Nanterre la linguistique, la sociologie et l’ethnologie ; Homem-Christo se tourne vers les arts plastiques : il dessinera le logo de Daft Punk, dont le lettrage écorchés’inspire de l’affiche du premier film de Michael Mann, Thief(1981).

Les clips associés au premier album, Homework(1997), offrent déjà des possibilités de fusion entre les arts. Avant d’être robots, Daft Punk prend d’abord à l’écran les traits de Charles, un chien anthropomorphe traînant sa jambe dans le plâtre dans les rues de New York, encombré d’une béquille et d’une énorme radiocassette diffusant l’instrumental Da Funkà plein volume. Ce court-métrage de cinéma-vérité est l’œuvre d’un skateur américain, Spike Jonze, qui se fera connaître du grand public deux ans plus tard avec le film Dans la peau de John Malkovich.

Road-movie futuriste

Pour Around the World, Daft Punk se tourne cette fois vers l’alter ego français, Michel Gondry, ancien batteur du groupe pop Oui Oui, qui a fait sensation avec ses clips pour Björk. La chorégraphe Blanca Li imagine un ballet saccadé avec des nageuses de natation synchronisée et des femmes invisibles, des squelettes, des breakdancers et des robocops. Puis Daft Punk s’essaie déjà à la réalisation pour Fresh.En beaucoup moins inventif, d’autant qu’est réutilisé le chien Charles.

Avec l’album Discovery(2001), ces fans de dessins animés japonais vont retomber en enfance, quand ils regardaient à la télévision « Récré A2 », l’émission de Dorothée. Daft Punk conçoit avec Leiji Matsumoto (1938-2023), le créateur du manga Albator, Interstella 5555. The 5tory of the 5ecret 5tar 5ystem, un space opera scénarisé à partir des quatorze titres de Discoveryet mis en œuvre par Toei, le studio tokyoïte à qui l’on doit également Goldorak ou Dragon Ball. Daft Punk projette ses phobies sur les méchants, un imprésario maléfique et l’ignoble comte de Darkwood, obsédé par la quête de disques d’or. Le film est montré en mai 2003 à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.

Comme le sera, en 2006, un autre long-métrage sans dialogues, Daft Punk’s Electroma , le premier que signent Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo. Centré sur les mésaventures des deux robots, il est présenté en toute modestie comme une expérience entre Easy Rider et 2001 : l’odyssée de l’espace.Un road-movie futuriste, donc. Comme Discovery, il accumule jusqu’à saturation les clins d’œil, à Antonioni (Zabriskie Point), Spielberg (Duel), Gus Van Sant (Gerry) et même Courbet (L’Origine du monde). Pour ne pas détourner l’attention des images, la bande originale ne comporte aucun titre de Daft Punk. On y entend la musique de Todd Rundgren, Curtis Mayfield, Brian Eno ou Sébastien Tellier.

Ce film ennuyeux et assez vain est voué à devenir culte auprès des amateurs de cinéma bis. En souvenir de The Rocky Horror Picture Show, que le Studio Galande, à Paris, projette chaque week-end depuis 1980, Daft Punk’s Electroma est exploité dans une seule salle, celle du Cinéma du Panthéon, et à une séance unique, le samedi à minuit. Il restera un an à l’affiche. Cette diversification confirme cependant que Daft Punk est bien un projet multimédia autour de sa division Daft Arts, localisée à Beverly Hills et dirigée par le Californien Paul Hahn. Celui-ci fait aussi office de « manageur » depuis 2008. Les guillemets s’imposent car l’intéressé précisera qu’il s’agit « largement d’un groupe autogéré ». Paul Hahn a contribué au scénario de Daft Punk’s Electroma avec le fidèle Cédric Hervet, designer et directeur artistique, un homme de l’ombre taiseux que l’entourage qualifie parfois de « troisième Daft Punk » .

Pour le film de science-fiction Tron. L’Héritage(2010), la configuration est strictement opposée : cette fois, Daft Punk s’occupe de la musique et de rien d’autre. Ce n’est plus du cinéma expérimental, mais un blockbuster produit par Disney. Le tandem recherche des projets contrastés. « J’aime bien ouvrir les champs du possible, observe aujourd’hui Thomas Bangalter. Passer du coq à l’âne. On peut aussi expérimenter avec son inexpérience. » Il ne débute pourtant pas dans la musique de film : il avait signé, en 2002, celle d’ Irréversible, de Gaspar Noé, scandale programmé au Festival de Cannes.

Pour Daft Punk, la proposition de Disney est une aubaine. Après Human After All(2005), l’album maudit suivi d’une tournée triomphale, le duo s’est remis au travail en 2008 dans son studio domestique. Fatigue ? Panne d’inspiration ? Les efforts n’aboutissent à rien de concret. Le leader mondial du divertissement offre une diversion, qui permet en prime de rompre avec les habitudes : les DJ sont d’abord attendus comme compositeurs. Leur musique quitte le repaire de la Daft House, à Paris, pour être interprétée en studio par l’Orchestre philharmonique de Londres, rompu à la musique de film. « Le réalisateur,Joseph Kosinski, voulait surtout des éléments électroniques, se souvient Thomas Bangalter. Mais nous avions la volonté de pousser vers l’orchestre. »

Tradition familiale
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"Daft Punk, des boucles dans une chambre d’enfant"...
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P.3

Premiers émois

Et puis ils décident de se transformer en robots et de remplacer le masque par un casque. Pour le deuxième album, Discovery(2001), est imaginé un script lié à la crainte du bug de l’an 2000 : affairés dans leur studio, les DJ producteurs ont été victimes d’un accident le 9 septembre 1999 à neuf heures et neuf minutes. L’explosion de leur échantillonneur a nécessité une opération de chirurgie réparatrice. Le pitch s’inspire directement de leur film-culte , Phantom of the Paradise(1974), une tragi-comédie musicale de Brian De Palma mêlant au Fantôme de l’Opéra, de Gaston Leroux, le mythe de Faust et Le Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde. L’histoire d’un compositeur qui se fait voler sa cantate par un producteur sous contrat avec le Malin. Le malheureux, dont le visage a été atrocement défiguré dans une presse à disques, rumine ensuite sa vengeance sous une combinaison de latex noire et un casque d’oiseau argenté. Deux artifices que Daft Punk ajoute à sa panoplie.

Scénarisée, la métamorphose en robots n’en est pas moins logique : Daft Punk maquille les voix derrière un vocodeur, un traitement synthétique qui avait donné la parole aux Maschinenmenschen (« hommes-machines ») du groupe allemand Kraftwerk, référence incontournable pour la scène électronique. Conçus par les vidéastes Alex Courtès et Martin Fougerol, les casques, ainsi que des gants métalliques, seront finalisés à Hollywood par une entreprise spécialisée dans les effets spéciaux.

Homeworkpossédait une cohérence stylistique et avait atteint son but : faire apprécier la house et la techno aux masses. En comparaison, Discovery semble l’œuvre d’un savant fou, un docteur Frankenstein qui aurait assemblé les morceaux de quatorze monstres. Un enchevêtrement délirant de samples. Les identifier s’avère impossible, Daft Punk s’étant amusé à créer des sons pour les imiter. Le titre Discoveryn’en a pas moins été emprunté au groupe pop britannique Electric Light Orchestra, autre utilisateur du vocodeur, échantillonné deux fois dans le prodigieux disco-funk Face to Face. A moins que le titre de l’album ne se réfère au Discovery One, le vaisseau de l’odyssée spatiale de Stanley Kubrick, puisque nous sommes en 2001.

Selon Thomas Bangalter, Homeworkdéveloppait « une idée en dix minutes » . Cette fois, c’est « quarante idées en trois minutes ». Les styles peuvent cohabiter au sein d’une même chanson ou d’un même instrumental. Toute hiérarchie – beau et laid, noble et vulgaire – est abolie. La bacchanale convie aussi bien Bach que du hard-rock symphonique. Les réactions seront radicales, de l’émerveillement pour un objet postmoderne, sinon révolutionnaire, à l’effarement devant un capharnaüm.

Daft Punk affirmera avoir voulu retrouver l’innocence des premiers émois musicaux. Pour eux, cette période sentimentale couvre la décennie 1975-1985. Les dix premières années de leurs vies. Au passage, on provoque les aînés qui distinguent torchons et serviettes. « Dans son sens noble, le mot “pop” signifie pour moi la juxtaposition d’une multitude de genres, expliquera Thomas Bangalter dans Le Monde, en mars 2001. Un peu comme pouvait le faire Queen, capable de mélanger heavy metal, comédie musicale, disco… »

Bangalter complète aujourd’hui cette approche en renvoyant à son « livre préféré sur la musique », La Musique et l’ineffable(Seuil, 1961), de Vladimir Jankélévitch : « Il parle d’un auditeur spontané qui peut aimer plein de choses différentes dans cette sincérité qui est celle de l’enfance, où il n’y a pas le bon et le mauvais goût. » Et ce qu’écrit le philosophe et musicologue sied à Daft Punk : « La musique est à la fois expressive et inexpressive, sérieuse et frivole, profonde et superficielle ; elle a un sens et n’a pas de sens. La musique est-elle un divertissement sans portée ? Ou bien est-elle un langage chiffré et comme le hiéroglyphe d’un mystère ? »

Dans les meetings de Chirac et Jospin

Une des premières chansons achevées – dès 1998 – pour Discoverypropulse le duo au sommet des classements de singles, en France et même en Europe (l’Euro Hot 100, regroupant dix-sept pays). Plus aucune fête ou soirée n’existe désormais sans One More Time, ce disco chanté par l’Américain Romanthony qui réconcilie les générations. On l’entend même dans les meetings politiques. Jacques Chirac et Lionel Jospin en font usage pour la campagne présidentielle de 2002 avant que l’utilisation ne leur soit interdite. Daft Punk ne plaisante pas avec les autorisations. En même temps, le groupe sait tirer profit de la puissance virale de Napster, un réseau de partage de fichiers que l’industrie du disque a désigné comme l’ennemi numéro un. Le piratage a orchestré avec une redoutable efficacité la promotion de One More Time, que les radios ont diffusé avant même de le recevoir par la maison de disques. Virgin n’a pas bougé jusqu’à la sortie officielle du single, en novembre 2000.

« Thomas nous a présentéDiscovery, posé sur son lit,se souvient Pedro Winter, ancien manageur de Daft Punk. Ils ont fait une sorte de chef-d’œuvre dans une chambre d’enfant. » Un autre auditeur tient aussi à manifester son admiration sur le moment. A Los Angeles, Thomas Bangalter reçoit un appel non identifié sur son portable. Il entend la voix d’une de ses idoles. Nile Rodgers, bon génie du funk et du disco, souhaite rencontrer les deux Frenchies. « Qu’il ait aimé notre disque, c’est cent fois plus fort pour nous que de travailler un jour avec lui », confie, en février 2001, le Daft Punk au magazine Les Inrockuptibles. L’un n’empêchera pas l’autre. Et Nile Rodgers, c’est Chic.

"Daft Punk, des boucles dans une chambre d’enfant"...
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Les futurs Daft Punk passent aussi à l’action. Daniel Vangarde se souvient que son fils « faisait des rythmes dans sa chambre avec Guy-Manuel » : « Mon partenaire Jean Kluger et moi, on trouvait ça original et fascinant. On était largués. Jean m’a dit : “Ils ne sont pas normaux.” »A l’été 1993, l’initiation se prolonge par un séjour sous le soleil d’Ibiza, place forte de la musique électronique, et des soirées au fameux Café del Mar. Le 26 septembre est organisé au parc Disney, à Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne), l’événement Dance Europe. Le duo écossais Slam, cofondateur du label Soma, y est programmé. On trouve, là encore, l’occasion de transmettre deux travaux musicaux, The New Wave(qui deviendra Alive) et Assault. Un maxi est commercialisé le 11 avril 1994 pour la première fois sous le nom de Daft Punk. Cette fois, la mèche est allumée : « Les trois premiers mois, nous avons vendu 12 000 copies, se souvenait Dave Clarke, pilier de Soma, dans Le Monde en décembre 2000. Tous les DJ le passaient, de Detroit à New York. »

« Vision mondiale »

Suivent deux bombes, amorcées en mai 1995 : Rollin’and Scratchin’ et Da Funk.Le 2 décembre, Daft Punk est intégré à un programme « French House » aux Transmusicales de Rennes. Dans la salle de l’Ubu, le duo passe à 17 heures devant 400 spectateurs. A visages découverts. Il reviendra l’année suivante dans ce festival, cette fois dans l’enceinte du Liberté, et ils seront des milliers. Son nom s’est répandu sur toutes les lèvres et affole l’industrie du disque. « Toute la planète voulait les signer », exagère à peine Maya Masseboeuf, alors directrice artistique chez Virgin France. La maison de disques part avec une longueur d’avance grâce à cette défricheuse, une des premières à repérer les prodiges : « J’avais entendu parler de Daft Punk par les gens du milieu électro. Leur live avait une énergie rock qui m’a procuré le même flash que quand j’ai vu Sonic Youth pour la première fois. J’ai eu tout de suite une intuition. »

Son enthousiasme est partagé par son patron, Emmanuel de Buretel. « Le titre qui m’a vraiment fait signer ce groupe estRollin’ and Scratchin’, affirme-t-il. J’écoutais tous les matins la cassette à fond dans mon bureau. Il y avait un côté D.A.F, un duo allemand que j’avais programmé dans mon école d’ingénieurs. Daft Punk apporte un effet tridimensionnel en travaillant sur la matière même. La musique est une sinusoïde, mais, chez eux, l’onde a plusieurs couches qui varient. »

Le buzz est tel qu’il place ces novices en position de force. « En général, tu écoutes un album avant de signer un artiste. Là, on les a signés pour qu’ils fassent un album », détaille Maya Masseboeuf. Apre en négociation, Daft Punk obtient de contrôler totalement sa production. « Ils gagnaient déjà de l’argent en vendant des dizaines de milliers de maxis dans le monde , raconte Daniel Vangarde. Je leur portais assistance au niveau des contrats pour qu’ils soient indépendants par rapport au show-business et que leur projet ne soit pas dégradé par des intermédiaires. Je leur ai dit de faire une liste de leurs exigences. Faire eux-mêmes leurs visuels, ne pas montrer leurs têtes puisque c’est ce qu’ils voulaient… A la fin, il restait trois maisons de disques. »

Emmanuel de Buretel est aussi séduit par l’aplomb des jeunes hommes. « Dès le début, ils avaient une vision mondiale et une idée conceptuelle de leur art, assure-t-il. C’est rare que les artistes associent d’emblée à ce point image et musique. Thomas est un génie de la machine, de la pensée et de la concision ; Guy-Man est un subjectif organique assez punk, qui a très bon goût et claque des mélodies qui tuent. »

Fruit de six mois de travail, de janvier à mai 1996, dans la chambre-studio de Thomas Bangalter, l’album Homeworkest présenté au même endroit à l’équipe de Virgin. C’est un hommage aux pionniers de la house music de Chicago, dont les noms sont scandés dans le titre Teachers: Derrick Carter, Green Velvet, Armando, Paul Johnson, Lil Louis… « Ces disques américains étaient importés en Europe et ignorés aux Etats-Unis », se souvient Pedro Winter, premier manageur de Daft Punk. Ce qui fascine, c’est l’appropriation que Daft Punk fait de ses influences. Elles sont digérées à travers un prisme déformant, que Thomas Bangalter comparera à celui des sound systems jamaïcains recrachant le rhythm’n’blues américain avec des basses telluriques.

Maya Masseboeuf est « soufflée » par le résultat. Elle estime pouvoir écouler ce premier album à 50 000 exemplaires, « avec une promo qui respecte leurs envies, un marketing reposant sur les autocollants et le vinyle » . Homeworksort le 20 janvier 1997 dans une quarantaine de pays et se vend à 2 millions de copies, dont 300 000 en France. On enchaîne aussitôt avec « Daftendirektour », une tournée nord-américaine et européenne, qui débute symboliquement sur une patinoire de Chicago.

Au sein de la communauté électro, les réactions devant cette ascension ne sont pas toujours bienveillantes. D’abord, il y a ce pacte avec le diable, une major du disque. Ensuite, le dogme de l’anonymat, inhérent à cette contre-culture, est soupçonné d’être détourné ici à des fins commerciales. « Quand la techno a commencé, les maîtres absolus de cette musique étaient Underground Resistance, un collectif de Detroit, expliquait le DJ et producteur de house Etienne de Crécy dans Le Monde en avril 2012. Leurs préceptes étaient clairs : Mad Mike portait une cagoule pour ne pas se montrer. Il disait : “La musique avant tout. Les artistes, ce n’est pas ce qu’il y a de plus important.” » C’était très anti-star-système, très anti-industrie de la musique. »

Dans les interviews données à leurs débuts, Bangalter et de Homem-Christo, qui excluent aussitôt la télévision, sont d’abord des vengeurs masqués s’approvisionnant dans des magasins de farces et attrapes .Cet aspect carnavalesque se rattache aussi à une tradition rock puisée dans le kabuki japonais. L’éclair zébré que David Bowie peint sur son visage en 1973 pour le personnage d’Aladdin Sane sera imité jusqu’à l’outrance par les maquillages de Kiss. Encore eux. Une affiche du groupe grand-guignolesque est d’ailleurs fixée au mur de la chambre d’ado que l’on découvre sur la photo intérieure de Homework. Sur le bureau est posé un globe terrestre.

"Daft Punk, des boucles dans une chambre d’enfant"...
Delixi
Delixi
9 mois

La scène se passe en janvier 1993 dans un duplex de l’avenue Junot, à Montmartre. Elle est fondatrice pour deux adolescents et symbolise une émancipation porteuse d’une révolution musicale. Dans le rôle du père, Daniel Vangarde, producteur de variété pour Sheila et Ringo ou Joe Dassin, mais encore de disco et de musique antillaise. Le fils est Thomas Bangalter, futur Daft Punk. « Thomas avait sa chambre à l’étage inférieur, raconte le père. La mienne étant à côté, je l’avais insonorisée avec du plomb dans le mur avant sa naissance, en 1975, pour y faire de la musique. Quand je rentre, je m’aperçois que quelqu’un a touché les réglages. C’est un mauvais moment entre nous, mais je me suis mis à sa place. Je lui ai donné 8 000 francs pour son anniversaire – pour d’autres, cela aurait été une voiture ou une moto – pour qu’il s’achète du matériel. »

Avec l’argent, le fiston acquiert pour ses 18 ans un synthétiseur Roland Juno-106 et surtout un sampler Akai S01. Complétés par un clavier Minimoog cédé par le père, un séquenceur, une console de mixage et un compresseur. Méthodique, l’apprenti prend pour habitude de lire intégralement chaque notice. Puis il connecte l’ensemble des équipements, posés sur des tréteaux, à un ghetto-blaster, ces radiocassettes volumineuses par leur taille et leur puissance sonore. Dès lors, sa chambre sera un studio.

L’ajout d’un échantillonneur transforme radicalement la pratique de Thomas Bangalter et de son ami Guy-Manuel de Homem-Christo. Cet outil généralisé dans le rap permet de « sampler », c’est-à-dire d’utiliser des extraits sonores préexistants pour la création musicale, transformée en acte de citation et de collage. Dans son livre Sample ! Aux origines du son hip-hop(Le Mot et le reste, 2018), Brice Miclet distingue le producteur new-yorkais de hip-hop DJ Premier, réputé au début des années 1990 « pour sa science du chopping, pour son habileté à faire d’un sample très court une boucle bien pensée » . Le chopping vise à rendre l’emprunt méconnaissable – et donc à échapper à d’éventuelles poursuites judiciaires.

Daft Punk va exceller dans cette activité ludique. Mais sans s’y enfermer. « A partir du moment où on utilisait la technique du sampling, ça voulait dire pour beaucoup qu’on n’était pas compositeurs, qu’on ne savait pas écrire la musique, qu’on était seulement des DJ avec des platines , commente aujourd’hui Thomas Bangalter. Mais quand on voit le travail de Steve Reich avec des bandes et avec des samples… » Se référer à ce phare américain de la musique contemporaine, pionnier du courant minimaliste et répétitif, n’est pas anodin. Bangalter en tire cette conviction : « On était, Guy-Manuel et moi, compositeurs dès le début, avec des formes et des approches plus ou moins sophistiquées. »

Garcimore, l’entremetteur

Pour la génération électro, la rencontre entre Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter a l’importance que revêtent, pour les précédentes, celle de John Lennon et de Paul McCartney lors d’une fête paroissiale à Liverpool, en 1957, ou celle de Mick Jagger et de Keith Richards à la gare de Dartford, près de Londres, en 1961. Là, ce sera le 6 juin 1986 au collège du lycée Carnot, dans le 17e arrondissement parisien. La jonction s’opère sur une base potache, raconte Bangalter : « Guy-Manuel m’a été présenté par un copain qui vantait sa parfaite imitation de Garcimore », vedette de la télévision de l’époque, un illusionniste espagnol connu pour son rire et ses tours foireux.

Fils de musicien, Bangalter joue du piano depuis l’âge de 5 ans. Avec le recul, il affirme néanmoins avoir « beaucoup plus baigné dans le monde de la danse contemporaine et classique que celui de la musique ». Sa mère, Thérèse Thoreux, qu’il perdra en 2001, a été en effet danseuse principale pour le Ballet-Théâtre contemporain, puis mosaïste. « Je suis allé peut-être quatre fois voir mon pèretravailler en studio, alors qu’on imagine que j’avais un rapport beaucoup plus proche de son activité de production, complète le musicien. En fait, je l’ai surtout vu composer des chansons au piano. » De son côté, Daniel Vangarde dément avoir transmis le virus du disco à son fils : « J’écoutais ça surtout en discothèque quand j’y testais mes productions. A la maison, c’était du reggae, des musiques indiennes et africaines… Et j’ai bien dû écouter cinquante fois Songs in the Key of Life, de Stevie Wonder. »

D’un an l’aîné de Thomas Bangalter, Guy-Manuel de Homem-Christo a, lui, des parents qui travaillent dans la publicité, autre domaine de compétence de Daft Punk. Le futur « Guy-Man » (« gars-homme », un diminutif de super-héros) trouve ses premiers émois dans la culture rock classique : Jimi Hendrix, The Doors, The Velvet Underground… Il est l’arrière-petit-fils de l’écrivain Francisco Manuel Homem Cristo Filho, propagandiste portugais de Mussolini, un anarchiste passé au fascisme qui sera, deux avant sa mort, une des figures du régime dictatorial né du coup d’Etat de 1926 à Lisbonne. A l’opposé des obsessions nationalistes de l’aïeul, le descendant incarnera une liberté de créer transfrontalière.

Avant Daft Punk, un premier groupe est monté pour épater les filles. Ce qu’indique son nom : Darlin’. Avec Laurent Brancowitz, futur guitariste de Phoenix, groupe qui sera lui aussi associé, à tort ou à raison, à ce qu’on nommera « French Touch ». Ce troisième larron relève une petite annonce à la boutique parisienne de Dancetaria, un label lillois spécialisé dans le rock indépendant. « J’ai rencontré Guy-Manuel le 1er janvier 1992 au McDo devant le jardin du Luxembourg, et ensuite j’ai habité pendant quelques années dans la chambre de bonne que louaient ses parents, se souvient « Branko ». On s’est retrouvés sur Bowie et le Velvet Underground, mais on admirait aussi les productions disco. On considérait comme un scandale que la musique soit aussi compartimentée. »

Darlin’ ne donnera qu’une poignée de concerts, le premier à Orsay (Essonne), pour la Fête de la musique 1992. Le répertoire comporte deux reprises instrumentales. Une version brutale de Darlin’, la chanson éponyme des Beach Boys, et Love Theme, des hard-rockeurs américains Kiss. « Reprendre du Kiss avait un côté un peu imbécile, convient Laurent Brancowitz, mais Guy-Manuel était fasciné par leur logo. Nous nous intéressions déjà aux projets conceptuels, Kraftwerk ou Bowie avec son personnage de Ziggy Stardust. » Il y a aussi Cindy so Loud, une composition qui pastiche le Velvet Underground.

Les chemins du trio vont bientôt se séparer, mais il laissera une trace discographique : Darlin’ et Cindy so Loud trouveront place sur une compilation éditée à 800 vinyles par le label de Stereolab. Laurent Brancowitz a pu glisser une cassette audio à Laetitia Sadier, la chanteuse française de ce groupe londonien, lors d’un concert au Rex Club, en mars 1993. Par chance, Dave Jennings, critique à l’hebdomadaire britannique musical Melody Maker, prête une oreille. Son jugement s’agissant de Darlin’ est sans appel : « Daft punky trash. » (« De la daube punk et stupide. ») « On a vécu cela comme un triomphe, se souvient Brancowitz. On avait l’impression que la seule vie possible était d’être dans la marge. » Ses deux facétieux camarades vont même brandir l’avanie en étendard. Le premier emprunt de Daft Punk est son nom.

Bangalter et Homem-Christo rêvaient des productions panoramiques des Beach Boys. Hélas, ils ne disposent pas des mêmes moyens. L’aggiornamento va être radical. Depuis le deuxième Summer of Love, une rave géante qui s’est éternisée d’un été à l’autre, en 1988 et 1989, le Royaume-Uni est pris de convulsions électroniques. Encore mineurs, les deux Parisiens rejoignent le mouvement en assistant, le 10 novembre 1992, à une soirée de musique house au dernier étage du Centre Pompidou. Les montées acides du duo allemand Hardfloor précipitent leur conversion.

Les emplettes des Parisiens les dirigent désormais vers le quartier de la Bastille, rue de Charonne. A la boutique de disques BPM (« battement par minute »). Ou chez Rough Trade, déclinaison d’une prestigieuse enseigne de Londres. Un des vendeurs est Arnaud Rebotini, qui obtiendra en 2018 le premier César pour un musicien d’électro avec la bande originale du film 120 battements par minute. En ces endroits, « il y a au maximum dix exemplaires de chaque disque, écrivent Pauline Guéna et Anne-Sophie Jahn, dans Daft (Grasset, 2022). Si on en rate un, peut-être qu’on ne l’entendra plus jamais. Ça crée une effervescence. »

Les futurs Daft Punk passent aussi à l’action. Daniel Vangarde se souvient que son fils « faisait des rythmes dans sa chambre avec Guy-Manuel » : « Mon partenaire Jean Kluger et moi, on trouvait ça original et fascinant. On était largués. Jean m’a dit : “Ils ne sont pas normaux.” »A l’été 1993, l’initiation se prolonge par un séjour sous le soleil d’Ibiza, place forte de la musique électronique, et des soirées au fameux Café del Mar. Le 26 septembre est organisé au parc Disne...

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Delixi
Delixi
9 mois

Partie 3 :

La moisson de Los Angeles

L’incident paraît aussi surréaliste que le lieu retenu pour le lancement de l’album : le Wee Waa Show, une fête agricole dans une localité de 1 700 âmes en Australie. Comme c’est le cas pour le Nouvel An, l’île-continent célébrera en avance la sortie de Random Access Memories. Avec sa piste de danse géante réunissant 4 000 personnes, Wee Waa symbolise pour un soir le village global de Marshall McLuhan. En l’absence des deux Français. La joie de leur come-back a été assombrie par la mort, le 7 mai à Austin (Texas), du DJ et producteur américain Romanthony, la voix de One More Time, tube de l’an 2000.

En France, Daft Punk devient le groupe des superlatifs. Get Luckypulvérise en trois jours le record de ventes digitales à l’unité, récemment détenu par la chanson Skyfall, d’Adele. Ce sera le single le plus diffusé en radio en 2013 et le plus acheté, avec 350 000 exemplaires. Sur le marché numérique , Random Access Memories fait de même avec un volume quatre fois supérieur au précédent champion, Futur, du rappeur Booba. Ses ventes globales atteindront 500 000 copies. Pour la première fois, un album de Daft Punk domine la concurrence. Enfin prophètes dans leur pays. Mais, lors du bilan annuel, il sera largement devancé par Racine carrée, du Belge Stromae. Au Royaume-Uni, Get Luckyaccomplit ce qui avait échappé à One More Time: le haut du podium, avec 1,3 million d’exemplaires. Daft Punk sera élu « groupe international de l’année » lors de la cérémonie londonienne des Brit Awards.

C’est Los Angeles qui concentre toutes les attentions : nommés dans quatre catégories pour les Grammy Awards, les Français ont prévu d’apparaître à la cérémonie, le 26 janvier 2014, au Staples Center, et même de jouer. Leur précédent et seul passage à la télévision avait eu lieu à cette occasion en 2008, en compagnie du rappeur Kanye West pour son hit Stronger, bâti sur un sample de leur titre Harder, Better, Stronger, Faster, qui lui-même échantillonnait un obscur funk des années 1970.

Daft Punk rafle dans la soirée tous les gramophones dorés possibles : ceux pour la performance pop en duo ou en groupe, l’album de dance électronique, et surtout l’enregistrement et l’album de l’année. Comme si cela ne suffisait pas, un cinquième prix récompense les ingénieurs du son de Random Access Memories. Seuls le chef d’orchestre Pierre Boulez (vingt-six trophées), le groupe vocal parisien The Swingle Singers et le compositeur Michel Legrand avaient fait au moins aussi bien aux Grammy Awards, mais jamais en une même édition. Et, parmi eux, seul Legrand a pu occasionnellement concourir dans des catégories convoitées par les superstars américaines et britanniques de la musique populaire.

Retransmis par la chaîne CBS (C pour Columbia), le programme est un moment de gloire pour Columbia Records, qui vient de recruter Pharrell Williams. Après Get Lucky, sa chanson soul Happys’annonce déjà comme le grand succès de 2014. Lui et Nile Rodgers entourent Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, qui ne cesseront de se lever et de s’enlacer, sans piper mot. Pharrell Williams s’improvise porte-parole : « Je parie que la France est très fière de ces gars maintenant. » Un autre Williams, Paul, connu pour sa musique et son rôle dans le film de Brian De Palma Phantom of the Paradise(1974), se charge à son tour des remerciements pour le Grammy album de l’année, reçu des mains de Yoko Ono.

Le raout est interminable et le parterre clairsemé quand Pharrell Williams, Nile Rodgers et un invité de luxe, Stevie Wonder, prennent la scène .Le néon rouge « Recording »est allumé et Get Luckyjoué dans un studio reconstitué. Daft Punk est invisible jusqu’à ce qu’un volet découvre ces envahisseurs de l’espace. Get Lucky mute alors en pot-pourri mêlant à leurs classiques Le Freak, de Chic, et Another Star, de Stevie Wonder. Dans l’assistance, cette communion intergénérationnelle est partagée par Sir Paul McCartney. Le vénérable septuagénaire danse.

Album fédérateur

« Ce disque a séduit deux publics, relève le producteur Daniel Vangarde, père de Thomas Bangalter. Ceux qui, comme moi, ont vécu le disco, et sont devenus des décideurs dans l’industrie de la musique. Et puis les jeunes, qui ont aimé entendre de grands musiciens de studio. »De fait, peu d’albums ont été aussi fédérateurs : la promotion n’a cessé de stimuler la curiosité des milléniaux avec des références musicales orientées vers la nostalgie des baby-boomeurs.

« Ils se sont imposés sur le marché américain avec un disque en hommage à la musique américaine », relève de son côté Rob Stringer. Cette singularité ne perturbe pas les cocoricos dont bruisse déjà Paris. « La France est fière de vous ! », tweete le premier ministre Jean-Marc Ayrault. La ministre de la culture Aurélie Filippetti salue « l’opus qui électrise la planète »et cette « French touch appréciée du monde entier ». Mais l’élan cocardier est rapidement douché par l’absence des héros aux Victoires de la musique, le 14 février. Daft Punk a refusé toute nomination. Les relations sont exécrables avec France 2 qui, à dix-neuf reprises, a utilisé et modifié des extraits de trois titres sans leur consentement. Procès en 1997 et 1998. La chaîne pensait être couverte par la somme qu’elle verse chaque année à la Sacem. Sauf que Daft Punk est inscrit à la Performing Right Society britannique.

« On ne se revendique pas comme un groupe français, spécifiait le duo, en mars 2001, dans un entretien au magazine Perso. La scène électronique a montré qu’il y avait une internationalisation, et, en même temps, on aime la langue anglaise, au niveau de l’esthétique et de ce qu’elle peut véhiculer. » On n’entendra pas Get Lucky au Zénith de Paris. Mais son air joyeux a retenti une semaine plus tôt lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, en Russie, adopté par un des deux ensembles qui perpétuent l’héritage des Chœurs de l’Armée rouge. La musique de Daft Punk résonne de la Californie au Caucase.