La Chute des damnés | Dirk Bouts | ca 1450

Monstres en pagaille
Au milieu de roches sombres et coupantes, les corps nus des damnés se mêlent à une cohorte de monstres hybrides affublés d'une tête de poisson, d'un corps de grenouille ou de serpent, d'un museau de chien et d'ailes de chauve-souris.

Dirk Bouts peint ces démons cruels avec une minutie fascinante. Pour les imaginer, il puise dans le vaste bestiaire de la mort et du diable constitué en Occident depuis l'Antiquité païenne. Les animaux à sang froid et à la peau visqueuse, ceux qui rampent ou qui voient la nuit constituent un répertoire idéal pour créer des démons polymorphes. Dominant la scène, la silhouette noire du démon volant est presque celle d'une chauve-souris. Ce monstre tient dans ses pattes crochues un homme terrifié, prêt à être lâché tête en bas vers le gouffre de l'enfer. Ceux qui ne sont pas en proie aux démons le sont aux flammes ou aux instruments de torture, comme la roue hérissée de piques qui dépasse de derrière un rocher, écho en peinture de la violence du monde réel.

Ces scènes infernales sont aussi pour les peintres du XVe siècle l'occasion exceptionnelle de représenter des corps nus dans des postures variées. Bouts peint avec finesse les corps crispés par l'effroi, leur maigreur, les joues creusées et les reflets bleutés de certaines carnations. Les physionomies de l'homme qui lève les bras, alors qu'un démon lui crève les yeux, et de celui de dos montrent un grand sens de l'observation anatomique.

Cette scène provient certainement d'un retable dont deux panneaux sont conservés : La Chute des damnés et L'Ascension des élus. Comme traditionnellement dans les commandes liées au Jugement dernier, les compositions de l'enfer et du paradis sont construites en opposition dans les couleurs, la lumière et le mouvement. L'autre panneau présente ainsi des corps heureux et pudiques qui baignent dans une lumière claire, guidés par un ange.