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« Ce tableau est l&#039;œuvre d&#039;un homme dérangé », pourriez-vous penser en contemplant les couleurs brutales et déconcertantes du peintre norvégien Edvard Munch. Mais vous n&#039;êtes pas seul à le croire, car Munch lui-même l&#039;a écrit, sûrement ironiquement, sur sa toile : « Kan kun være malet af en gal Mand ! » (« Ne peut avoir été peint que par un fou ! »).
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Edvard Munch était-il fou ? C&#039;est ce que pensent en tout cas beaucoup de gens à l&#039;époque. À la fin du XIXe siècle, Le Cri  choque le public. Le critique d&#039;art et directeur de musée, Henrik Grosch, écrit, au début du XXe siècle, que ce tableau montre bien que Munch « ne pouvait plus être considéré comme un homme sérieux avec un cerveau normal ».
Pas si fou que ça
Puisque tout le monde le dit, à commencer par l&#039;artiste lui-même, son dossier psychiatrique semble clos. Ingrid Junillon, spécialiste française du peintre norvégien, nuance ce jugement sévère : « Il avait des angoisses et quelques troubles psychologiques, mais il n&#039;était pas fou. Les critiques de l&#039;époque, choqués par sa radicalité, lui jettent cette accusation à la figure. Munch nous confronte à la brutalité de l&#039;émotion sans laisser d&#039;échappatoire. L&#039;homme qui souffre au milieu est face à nous, en gros plan. Évidemment, ça choque. », explique-t-elle.
Sûrement pas fou donc, Munch a toutefois une ambition folle : disséquer l&#039;âme humaine en peinture. En 1889, il écrit dans ses carnets : « On ne doit plus peindre d&#039;intérieurs, de gens qui lisent et de femmes qui tricotent. Ce doit être des personnes vivantes qui respirent et s&#039;émeuvent, souffrent et aiment. Je vais peindre une série de tableaux de ce genre. » Le Cri fait partie de ce catalogue d&#039;émotions qu&#039;il a représentées tout au long de sa carrière.
« J’ai ressenti le grand cri de la nature »Edvard Munch
À l&#039;origine le tableau devait s&#039;appeler sobrement : désespoir. Ce regard, désespéré donc, braqué sur quiconque contemple ce chef-d&#039;œuvre est celui d&#039;un être sensible touché par ses angoisses existentielles. Un simple humain en somme. Universel et pas plus fou qu&#039;un autre. Dans un texte retrouvé, il écrit : « Je marchais le long de la route avec deux amis – soudain, le soleil s&#039;est couché – le ciel est devenu brusquement du sang et j&#039;ai ressenti le grand cri de la nature. »
« Ce cri peut représenter beaucoup de choses. Il est né comme un cri de désespoir, et finalement le désespoir met le personnage dans une angoisse absolue », détaille Ingrid Junillon, conservatrice du patrimoine au musée Paul Valéry à Sète, auteur d&#039;une thèse sur Edvard Munch. Devant le tableau, certains voient un alien rachitique pousser un cri strident. Mais d&#039;autres voient un personnage se couvrir les oreilles. Le véritable cri proviendrait de l&#039;environnement autour de lui, le fameux « cri de la nature », dont Munch parle dans son texte qui accompagne l&#039;œuvre.
Un personnage mystérieux
Cet être androgyne, se prenant la tête entre les mains, la bouche grande ouverte, n&#039;a pas d&#039;identité. « Évidemment, on peut lui donner une portée autobiographique, et dire que c&#039;est Munch lui-même. Mais en fait, on ne sait même pas si c&#039;est un homme ou une femme. Est-ce même un être humain ? Son apparence permet de le rendre universel en tout cas, c&#039;est une incarnation de l&#039;émotion au paroxysme », estime la spécialiste du peintre.
En guise d&#039;explication plus terre à terre, ce visage mystérieux est probablement inspiré d&#039;une momie péruvienne que Munch a découverte lors de l&#039;Exposition universelle de Paris en 1889. Cette petite momie chétive appartient aux Chachapoyas, un peuple des Andes vivant entre le Xe et le XIVe siècle.
Le cri de la nature : une éruption volcanique ?
Mais pourquoi se bouche-t-il les oreilles ? Une explication pragmatique existe. Pendant longtemps, on a pensé que l&#039;œuvre était liée à un événement météorologique très précis : l&#039;éruption du volcan Krakatoa, le 27 août 1883, en Indonésie, l&#039;une des plus meurtrières de l&#039;histoire, faisant 36 000 victimes.
Les nuages empourprés qui ondulent sur la toile rappellent les nuées de cendres qui se sont dispersées après cette éruption cataclysmique, affectant le ciel à des milliers de kilomètres de là. L&#039;explosion fut si puissante qu&#039;on l&#039;entendit jusqu&#039;en Norvège. De quoi se boucher les oreilles.
Pourtant, Munch ne mentionne nulle part l&#039;éruption. Helen Muri, une chercheuse de l&#039;université d&#039;Oslo, affirme avoir percé le secret du tableau. Selon elle, ce ciel étrange n&#039;a rien à voir avec le Krakatoa, mais plutôt avec un phénomène météorologique bien plus ordinaire en Scandinavie : les « nuages nacrés ».
Ces irisations spectaculaires apparaissent à haute altitude et sont généralement visibles en hiver, particulièrement aux latitudes les plus septentrionales. Constitués de vapeur d&#039;eau et de minuscules particules de chlore, ces nuages se parent de teintes allant du rose pâle au violet intense, donnant au ciel une apparence surréaliste qui pourrait bien être la source d&#039;inspiration de Munch.
Munch « s&#039;autodissèque »
Irruption, ou simple jeu de couleur dans le ciel, peu importe en somme. Munch par ses toiles essaie constamment de « s&#039;autodisséquer et de s&#039;interroger sur la réalité de sa perception. Il ne nous dit pas “le monde est comme ça”. Il nous dit “moi, à un moment, j&#039;ai ressenti le monde comme ça”. Est-ce que j&#039;avais raison ? Est-ce que j&#039;avais tort ? Il ne donne pas de réponses », raconte Ingrid Junillon.
Pionnier de l&#039;expressionnisme, Munch a marqué son époque par son utilisation audacieuse et brutale des couleurs, sans transition ni dégradé. « Ce qui choquait dans sa peinture, c&#039;était cette brutalité, ce côté grinçant des couleurs et cette impression qu&#039;il a peint à toute vitesse », explique Ingrid Junillon. Le peintre n&#039;avait qu&#039;une seule obsession : raconter les émotions humaines, aussi sombres soient-elles.
En y regardant de plus près, on remarque deux silhouettes à l&#039;arrière-plan qui paraissent totalement indifférentes à la détresse du personnage principal. Ces « amis » apparemment insensibles, qui longent la rambarde, semblent complètement déconnectés du désarroi de l&#039;homme au centre. C&#039;est la différence entre les êtres sensibles et les autres. Ingrid Junillon détaille : « Celui qui paraît effrayé perçoit des choses que le reste du monde ne perçoit pas. Et ces choses-là l&#039;agressent et le transforment et il prend ça de plein fouet, là où le commun des mortels voit juste un coucher de soleil. »


« Le Cri » d’Edvard Munch : les secrets d’un chef-d’œuvre perturbant

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Lui, il n'a pas de poil dans la main.

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