O.F.N.I. #13- Enter The Void
Peu de réalisateurs peuvent se vanter de générer une telle véhémence autour de leur œuvre comme le fait Gaspar Noé. D’une part, il a réussi à construire un cercle relativement restreint mais solide de fans avides de ses créations ; d’autre part il est l’un des cinéastes les plus raillés, méprisés voire carrément haïs par la critique et les spectateurs. Je fais partie de la première catégorie et je vais même plus loin en considérant Gaspar Noé comme l’un des plus grands réalisateurs français et comme un moteur essentiel au cinéma moderne.
Beaucoup caractériseront son cinéma par sa subversion ce qui n’est pas totalement faux (contrairement à ce que défend Noé lui-même) mais ce n’est clairement pas la marque fondamentale et significative de son œuvre.
En revanche, chacun de ses films sont empreints d’une volonté expérimentale aigüe. Pour chaque métrage, il s’est emparé d’une contrainte technique ou stylistique qu’il transcende toujours magistralement :
-Seul Contre Tous donnait l’accès à toutes les pensées du personnage avec une grande pertinence. La « voix » que l’on entend dans notre tête était dépeinte dans toute sa discontinuité et son absurdité.
-Irréversible et sa caméra voyeuriste et perverse n’offrant aucune concession à la réalité si ce n’est une déformation du temps (montage renversé).
-Enter the Void comme une expérience de projection astrale en vue subjective.
-Love et sa volonté de représentation sexuelle explicite et passionnelle intégrée à un propos d’auteur dramatique.
Son troisième long-métrage, Enter the Void, est celui qui lui a demandé le plus de travail. S’appuyant sur un script solide et très structuré (en opposition totale avec la conception d’Irréversible), Gaspar Noé ne laisse que très peu de place au hasard.
Très rapidement sur l’histoire (car l’intérêt du film ne réside pas là), nous suivrons Oscar, un jeune toxicomane désabusé et aux angoisses refoulées perdu dans les bas-fonds nauséabonds et démentiels de Tokyo. Il doit réaliser un échange de drogue. Surpris par une embuscade, il tentera de fuir avant de se faire tuer. Voilà les 20-30 premières minutes du film.
Souvent, les créations de Noé sont des œuvres sensitives qui échappent à toute intellectualisation. Elles font appel à nos sensations les plus primitives voire à nos propres souvenirs (Love). Enter the Void est un parfait exemple de cette démarche. Je l’ai dit, le parti pris de mise en scène est de suivre ce personnage au travers de sa propre vision. Jamais le concept de caméra subjective n’aura été aussi abouti. Ainsi, nous verrons ses paupières cligner, sa vision altérée par les différentes drogues, nous participerons à ses hallucinations et entendrons même sa voix modifiée par la résonance du crâne (vous savez lorsque vous semblez découvrir votre propre voix sur un enregistrement…). Cette expérience est fascinante mais elle le devient encore plus lorsque, avec Oscar, nous tomberons au sol d’une chiotte tokyoïte miteuse, une balle logée dans le poitrail. En effet, le pari du film ne s’arrête pas là et nous poursuivrons les visions du personnage durant une projection astrale hallucinante, sorte de lente descente aux enfers où nous côtoierons le vice humain dans toute sa folie et sa beauté. C’est également durant cette projection que nous en apprendrons plus sur le passé du personnage et notamment sur un souvenir d’enfance particulièrement douloureux qui se transformera peu à peu en un instant traumatique partagé par le spectateur.
Plus techniquement, conformément au défi que s’est imposé Gaspar Noé, le film présente de très longs plans séquences fantomatiques montés avec fluidité de sorte à donner l’illusion d’une continuité.
Le réal nous offre une vision d’un Tokyo nocturne sous psychotropes bariolé et baignant dans la lumière artificielle de néons grésillant et rythmé par la musique lancinante des nightclubs sordides. Tout est optimal pour emmener le spectateur dans un trip dont il ne sortira que 2h40 plus tard.
Il s’agit clairement d’un film à voir, pour sa singularité mais aussi et surtout car c’est une œuvre rare, qui appelle au corps comme jamais aucun film n’y était parvenu auparavant. 9.5/10
Pour l'avoir vu au ciné quand il est sortit, j'ai trouvé qu'il y avait des longueurs (les plans de survol de la ville).
Après j'adore le style trash de Gaspar donc l'arrière goût reste très bon.
Film recommandé +++
Je connais le scénar par coeur à force de lire dessus et de l'avoir vu plusieurs fois, mais ça reste toujours une redécouverte à chaque visionnage. Ne serait-ce que pour les plans/trackings.
Désolé, je bute sur un petit détail, mais Gaspard Noé n'est pas français, même si ses films sont produits et réalisé en France, avec des acteurs français
Oui oui tu as tout à fait raison, et ce n'est pas un petit détail! Mais pour avoir eu déjà l'occasion de converser avec lui, il se considère lui-même en tant que tel. Mais tu as raison, j'ai tellement l'habitude de le placer parmi la peuplade de réalisateurs français que j'en oublie la réalité...
Après je t'avouerai que moi même j'ai longtemps cru qu'il était français, en parti à cause de son nom à consonnance très française !
Il est cool ? Enfin je veux dire facilement abordable ?
Il est très cool, très abordable. Il fait très 'glandeur de base' qui, sans jamais se fatiguer, sort des monstres artistiques. Et contrairement à ce que l'on peut penser, il est plutôt timide. On a l'impression qu'il se cache toujours derrière une façade nonchalante... Ce qui est saisissant quand tu lui parles de ses films c'est que, malgré tout le travail, on dirait que tout arrive par chance et qu'il fait tout d'instinct. C'est vraiment dingue. Il est à l'antipode de Nicolas Winding Refn par exemple.
ça va tu présentes le seul film que j'apprécie de lui, mais pour le reste, je le trouve plus non-pertinent qu'impertinent. j'ai jamais fait ma prude sur ses films/scènes trashs, mais Irréversible est d'après moi simplement mauvais. et Love m'a fait ni chaud ni froid, j'aime simplement pas son regard sur les corps, le sexe etc.
Après il réussi son taf d'imposer son style je suppose, mais il est trop exclusif, et c'est en ca que je ne suis pas d'accord sur le fait de le considérer comme un grand réalisateur.
Je m'exprime que pour critiquer mais très bonne box, comme d'hab.
Je suis d'accord avec toi sur tout. Mais en fait là où c'est difficile de situer Gaspar Noé c'est qu'il est typiquement un réalisateur qui fait des films qui cherchent à "parler" au spectateur, à le travailler au corps. Donc oui, c'est exclusif, si tu ne ressens pas l'un de ses films alors il n'a plus aucune valeur puisqu'il n'y a rien d'autre à espérer. Simplement, tous ses films ont su résonner en moi de manière assez violente et jouissive, c'est la raison pour laquelle je le hisse à ce statut, peut-être un peu trop subjectivement... Parler de Noé est toujours difficile car il ne donne pas de matière "tangible" pour débattre...
Chef d'oeuvre absolu! Pour avoir bossé à la boite qui a réalisée les fx, je peux vous dire qu'ils se sont bien fait chier pour les effets "tilt shift" qui malheureusement ne rendent bien qu'au ciné.
Je conseille d'essayer de le regarder au moins une fois, au risque de le remater encore et encore.
Merci pour cette box.
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