Péripéties d'un carabin à l'hôpital 38
Bonsoir les chouals, ça faisait longtemps.
Effectivement, je vous ai pas fait de compte rendu depuis un moment. Et c'est en partie lié à une grosse perte de concentration et un souci avec ma hiérarchie dont la cause est en partie détaillée ici.
J – 19
J'ai du bouger plus loin que d'habitude pour ce stage, et j'arrive dans une ville que je connais pas du tout, pareil pour l'hôpital. J'entre en service de réanimation, en retard après m'être trompé de ligne de métro. La chef d'équipe me réprimande. Elle a l'air un peu aigrie et bourrue mais j'ai vite compris qu'elle était du genre "laconique – efficace". Dans le service, plusieurs personnages assez marrant. Un interne fort en gueule immigré irlandais qui virevolte comme une fleur entre les défibrillateurs et les seringues d’anesthésie. Une petite aux airs de Fifi brin d'acier qui par sa simple apparence et son simple comportement m'a évité de passer pour le petit nouveau. Une nana de mon âge (en tout cas c'était marqué sur sa carte d'identité, parce qu'elle a un physique étrange, de ceux qui empêchent de déterminer l'âge), interne, fille de fermiers vendéens qui s'est retrouvée devant un bouquin de médecine après une fugue. Et quelques autres figurants.
Le premier jour, donc, visite du service et de l’hôpital avec l'irlandais. Un bâtiment extrêmement moderne et surtout très classe, qui confirme que finalement, le genre d'hosto qu'on voit dans les séries existent vraiment. Mais vite fait j'ai un rappel à la réalité quand l'irlandais m'explique que cet hosto a son organisation officieuse propre, et que, puisque la plupart des accidentés sont habituellement envoyés à un autre hôpital dans le centre, on a presque jamais besoin du service de réa, qui sert donc d'équipe volante. Elle fait principalement des consultations, l'administratif, les boulots de coursiers, le ménage (je vous jure). Il m'explique que ça lui pèse un peu mais que malgré tout on fait quand même assez de médical pour que ça en vaille le coup. Plus tard dans la journée, je discute avec la fille de mon âge dont je parlais plus tôt. Au cours de la conversation, je lui demande pourquoi l’hôpital gère son organisation de manière aussi satellitaire. Et elle m'explique que c'est absolument pas du à un quelconque manque de moyen (j'avais remarqué!), mais à une espèce de vide spatio-temporel entre la hiérarchie et la direction de l'hosto. J'étais effaré, puis l'instant d'après, ça m'a cassé les noix qu'un hosto avec des moyens pareils soit tout autant en bordel que la plupart des cliniques Syriennes dans lesquelles j'ai fait mes stages. Bref. Journée de présentation et de visite, surtout.
Le soir, je crois que la fille me plaît.
J – 10
Ordinairement, je ne vois que l'hôpital. C'est normal, pendant un stage, j'y passe ma vie. Y'avait bien eu le stage en onco-pédiatrie ou on voyant toute la ville depuis le toit et ou j'avais l'impression de respirer, mais rien d'autre. Là, c'était différent. Depuis une bonne semaine, les trois collègues sus décrits m'invitaient souvent à venir avec eux le soir ou n'importe quand en dehors de nos heures pour sortir et me faire connaître la ville. Je passe de très bons moments. Fifi s'avère moins coincée et bien plus sympa que prévu, l'irlandais est fidèle à son cliché et cumule les bagarres de bar (il gagne à chaque fois), et je discute beaucoup avec l'autre fille. Appelons la Alice.
Bien sur, quand le début d'une complicité commence à naître avec quelqu'un, c'est jamais explicite ou oral, on le sent, ou en tout cas on croit le sentir avec une grande certitude. Bref. Cette fille était intéressante, charmante, charismatique et forte. Et on s'entendait vraiment très bien. Elle m'a raconté comment elle a fui sa famille de rednecks pour enchaîner les boulots de serveuse dans les bouges les plus infâmes de Nantes pour finir par tomber sur un bouquin de médecine de Joseph Bell (pas évident comme entrée en matière). Je lui raconte la mienne aussi et ça continue. On échange nos points de vue, qu'est ce qu'on fout dans ce monde de l'hosto, pourquoi on y est, qu'est ce qu'on espère accomplir.
Mais le bipeur sonne. C'est l'heure de rentrer.
J – 8
En pleine nuit, je bulle dans le hall, allongé sur un des canapés. L’hôpital est particulièrement permissif. Et même si ça m'a posé un problème éthique les quelques premiers jours, ces canapés sont foutrement confortables. Là dessus, j'entends à travers mes écouteurs le fracas de la porte principale. Je me lève et vois à travers la vitre un couple d'ados, la petite vingtaine, à l'air paniqué. Je suis de l'autre côté et, embarrassé, j'essaie de leur dire qu'il faut passer par les urgences. Rien à faire, ils ont l'air trop secoués pour m'entendre. Je décide donc d'aller à la réception, je met un sacré bordel dans leurs tiroirs avant de trouver les clés et je cours leur ouvrir. Je vois alors que la fille est carrément en culotte, avec un débardeur trop grand pour couvrir ses seins et une couverture pour se cacher, ce que j'avais même pas remarqué derrière la vitre. L'espace d'un instant, je redoute le pire. Elle essaie de parler, mais les mots ont l'air de rester coincés, à cause d'une sorte de honte. J'essaie à tout prix d'écarter l'idée du viol qui est de plus en plus présente. Le mec qui l'accompagné, lui aussi visiblement écrasé sous une sorte de honte, essaie de me parler, puis il y arrive et finit par m'expliquer alors que je les amène vers une salle d'examen.
Donc: Ils sont ensemble, lui a la syphilis à la suite d'une vieille histoire nulle. Ils avaient un rapport protégé normal sauf que la capote a craqué. En bref, ils ont la trouille qu'elle ait été infectée.
L'espace d'une seconde, je me sens presque soulagé qu'elle n'ait pas été agressée, juste avant de réaliser l'idiotie de mon soulagement en voyant de nouveau la terreur du jeune couple.
Un peu plus tard, je suis dans la salle d'exam, j'ai fait des prélèvements à la fille, et les laisse dans la salle en leur disant que je reviens le plus vite possible. Je les vois se serrer fort comme deux enfants en fermant la porte. En sortant, je me mets à courir aussi vite que possible. Je sais que je vais galérer pour faire le test, et j'ai aucune envie de les faire attendre.
Là dessus, j'ai la chance de ma vie et je tombe sur Alice, qui me demande en baillant pourquoi je m'agite comme ça. Je lui explique la situation. Après une pause, elle prend l'échantillon d'un air rassurant et me dit qu'elle va s'en occuper, comme ça je peux retourner les voir. Même s'ils allaient pas avoir les résultats avant une semaine, fallait pas qu'ils restent seuls.
Je reviens donc dans la salle d'examen. Elle est couchée, en position fœtale, sur la table d'exam, et il lui caresse les cheveux, complètement saccagé par sa propre culpabilité. Il me dit que le stress a fini par l'assommer. J'ai déjà vu ça cent fois. Je lui propose de sortir respirer un peu avant que lui aussi ne tombe sous l'angoisse. Il accepte après une longue hésitation.
On sort et je m'arrange pour qu'on se cale devant la fenêtre de la salle de consult, si jamais sa copine se réveille.
Là dessus, j'essaie de parler avec lui. Même si je m'en veux après coup, j'ai eu un gros à priori sur ce gars là. Simplement parce qu'il avait la gueule de l'emploi. Coupe undercut, tatouages guerriers sur les mains et le visage (même si la couronne stylisée qu'il avait sur l'arcade était élégante), survet'. J'avais complètement oublié le fait qu'il avait accompagné sa copine en pleurant d'angoisse, et l'avais catalogué comme le mec minable qui infecte son plan cul parce qu'il sait pas s'y prendre. Je m'en suis voulu à mort après six secondes de conversation. Il vient d'avoir son BTS de maintenance industrielle et sa copine fait des études en histoire de l'art. Il a eu une jeunesse sans trop de heurts dans une banlieue à l'est de Paris, puis est venu ici pour suivre sa copine qu'il avait rencontré par hasard à une manif.
On continue de parler. C'est un gars spirituel, très sensible et ouvert. Au fut et à mesure que je m'en rend compte, je m'en veut plus encore de mon jugement à l'emporte pièce et surtout presque inconscient.
J'ai essayé justement de lui faire parler d'autre chose pour le décrisper, et ça a marché. Néanmoins, les circonstances du craquage de capote sont évidement venues sur la table.
Il m'explique que chacun des deux savait pertinemment que le risque existait. Mais bon, ils s'aiment, et quand on est amoureux, on finit par devoir se toucher, c'est pas évitable.
Je me suis dit que c'était à la fois trop con et irréfutable. Ouais. De l'amour en fait.
On est de retour dans la salle de consult, et sa copine dort toujours. Arrive Alice, qui a terminé le test, et qui vient en informer le couple. Il connaît pas encore le résultat, mais le mec la remercie copieusement, avec les larmes qui perlent. Elle a vraiment l'air touchée. On les laisse dormir dans la salle d'examen (le règlement existe pas ici de toute manière), et on va se coucher. Devant la porte de la chambre, on s'arrête, et on se dit bonne nuit. Mais avant qu'elle parte de son côté, vers sa chambre, elle s'arrête deux secondes, on se fixe comme des cons, je souris, elle rit doucement avec un grand sourire, sans arrêter de me regarder dans le blanc des yeux. Puis elle s'en va.
Il se passe quelque chose.
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J – 4
Dans un bar avec Fifi et l'irlandais. Alice est pas là, elle a un môme à garder. Lui, il commence à être un peu ivre tandis que Fifi a perdu toute once d'inhibition. Son portable (à lui) sonne, je suis juste à côté. Il répond d'un air idiot sans regarder le numéro. La seconde d'après, je vois son visage devenir grave avec une vitesse hallucinante. Il demande sèchement à son interlocuteur ce qu'il veut. Il dit non deux fois, puis il hurle "MERDE!" à cinq centimètre de mon oreille, avant de sortir du bar comme une tornade. Je le suis comme je peux et on arrive à l'hosto. Devant la porte, il y a un grand gaillard de deux mètres, une force de la nature avec les cheveux et la barbe de Crusoé. On l'appellera "the Hound". The Hound, donc, aperçoit l'irlandais et marche vers lui en titubant d'un air exagérément amical, les bras grand ouverts. L'irlandais le repousse d'un air agressif et lui dit de partir. The Hound est sympathique au début, mais il est insistant et je sens qu'il veut quelque chose. Il parle sans jamais déserrer les dents, ça lui donne une intonation bizarre. Il a un visage défoncé dans tous les sens du terme. C'est un junkie. J'entends pas tout le dialogue, mais je finis par comprendre qu'ils sont frères. Une dispute finit par éclater. The Hound menace l'Irlandais de "tout raconter s'il lui en donne pas une dernière fois". J'ai peur de comprendre. Là dessus, l'irlandais lui donne un coup dans les parties et se penche sur lui, effondré, pour lui dire doucement mais non sans une grande agressivité qu'il aura jamais les couilles de le faire. The Hound s'en va comme un chien battu. L'irlandais me dit d'oublier ça et s'en va, fulminant.
Moi je reste là comme un idiot.
J – 3
Fifi arrive en faisant la gueule parce qu'on l'a laissée seule, bourrée, dans un bar. Je suis un peu gêné, mais je sais pas si je peux lui dire que l'irlandais fournissait fut un temps son junkie de grand frère en opiacés. Lui aussi fait la gueule. La journée s'annonce sympa. Je vois arriver Alice, de bonne humeur. Une bouffée d'oxygène grande comme un nuage.
Vers la fin de la journée, le mec qui a peur d'avoir contaminé sa copine passe me voir. Il demande à me voir, moi. Ses manches sont plus courtes et je vois un tatouage de Totoro sur son bras. Je souris. Je lui dit que le test est pas encore prêt et il me dit qu'il sait, mais qu'il passait juste pour dire merci.
Ce soir, je dors très bien.
J – 1
Journée tranquille. La chef de service a l'air de bonne humeur, Fifi nous présente son nouveau copain en arrivant. Alice est radieuse. Je joue le bobologue jusqu'à six heures.
C'est l'heure d'aller chercher le résultat du test syphilitique. Je suis au labo et malgré une certaine angoisse je me surprends à pas vouloir attendre avant de regarder, je le fais mécaniquement. Négatif. Elle a pas la syphilis. Son copain ne l'a pas contaminée. Je reste là à me balancer sur la chaise, la tête légère comme si je venais d'aspirer une bouteille de rhum en trois secondes. Puis soudain je réalise que c'est le soir de la semaine où Alice doit garder un môme et qu'elle s'en va donc en avance. Je cours vers l'entrée.
J'arrive dans le hall avec le test négatif en main, froissé par l'émotion. Je cours pour la rejoindre avant qu'elle ne s'en aille, parce que j'avais envie de lui montrer le truc plutôt que de lui dire au téléphone (et sans doute profiter de ce moment d'émotion pour concrétiser la chose). J'arrive donc près des baies vitrées et je m'arrête net. Elle a les mains plongées dans une poussette tenue par un mec qui a la trentaine. Sur l'instant j'en tire aucune conclusion, je suis juste surpris. Puis elle a le gamin dans les bras, s'approche du mec et l'embrasse. Ils se regardent tendrement.
Elle me voit. Elle sourit et me fait signe de venir. Je m'approche comme un automate.
"C'est ton copain?"
"Non, c'est mon mari, et lui c'est mon fils"
"Coucou, toi."
Je jette le test dans les chiottes et je retourne en consultation.
J
Pause déjeuner. Alice se comporte comme si de rien n'était. La journée est étonnamment vide. Il se passe rien. Il se passe rien de la journée. Comme si l'hosto lui même avait envie que mon esprit soit totalement libre de ruminer tout ça. Avec l'Irlandais, Fifi et Alice, on se raconte en riant les cas les plus bizarres qu'on a eu. Enfin, ils se racontent. Moi je reste assis avec, probablement, un air de fou. Alice raconte son anecdote. Elle se tourne vers moi en riant et en me demandant la mienne. Je dis sèchement que j'ai pas envie de jouer et me lève en laissant mon assiette pleine. Alice n'a pas l'air de comprendre.
Le soir, je suis seul à l'hosto, les autres sont de sortie, mais j'en ai pas envie.
Je pète un câble. Je me dis que ça fera de mal à personne, ce qui est vrai, et puis je me dis plus rien. Ça a pas le moindre sens, mais j'ai envie de le faire. J'apporte une enceinte et la branche à mon téléphone. Je mets le tout sur un chariot de réa et gambade dans les couloirs vides (ceux qui n'ont pas de chambres) avec Bohemian Rapsody à fond. J'arrive dans le hall, je fais une danse bizarre avec le chariot, je pousse les canapés, ces canapés si confortables, pour en faire un lit deux places. Je m'allonge dessus et me met à rire façon Jared Leto dans Suicide Squad.
Passé le moment de folie, je remets tout en place et décide finalement de pleurer sous la douche comme une personne normale.
J + 2
Vidéosurveillance. J'ai rien fait de mal, j'ai tout rangé. Mais le gars des vidéos m'a pris pour une sorte de fou et compte tenu de mes antécédents de sociopathe, j'ai eu un renvoi avec sursis.
Cet hosto est pas si permissif que ça.
Je me suis mis à fumer.
Ça a beau être du fake j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ! Tu devrais écrire plus de fictions comme ça !
wow.
c'est moi ou il est bien plus perso que les précédents??
content de te retrouver l'ami!
Merci, moi aussi.
En fait, ça paraît con mais c'est simplement qu'il m'a fallu un moment pour digérer tout ça, et que j'avais pas envie d'en parler comme j'ai pu le faire souvent.
http://choualbox.com/blog/bazorbakk http://choualbox.com/blog/razorbakk
je te laisse vérifier, ça fais 2 fois qu'il fait le coup, mais c'est tellement du génie et bien écrit qu'on ne peut qu'admirer l'oeuvre.
Aucunement, ça fais 2 fois qu'il le sort son coup de génie, il le fait aussi en commentaire.
Tain de génie, tu mérites l'enfer pour ce troll mais c'est tellement bien écrit que ça serait trop grave... Reste en vie et continue comme ça mon petit.
Appelle moi petit encore une fois et je m'arrangerai pour te mettre les reins à la place des pieds -et inversement- la prochaine fois que tu passes au bloc pour une appendicite.
Nope, dans le théâtre.
Après, ce genre de trucs est bourré de passages romances et certainement de pas mal d'inexactitudes et d'approximations.
Bah en soit, on attendait tous, donc quand ça sort, on se précipite de lire la première partie, et après coup on se rappelle de ton fake
Moi non plus, mais je sais que Feu de l'amour + hôpital = Grey's. (En gros..pas envie de blesser un fan)
Par contre j'aime bien House. Sans avoir la prétention de se hisser à un House of Cards ou Breaking Bad, c'est une série très sympa et bien faite.
Je regardais aussi à un moment. Quelques épisodes c'est sympa, les 8 saisons je pourrais pas, c'est trop.
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