Transparent

J'étais transparent aux yeux du monde. Un invisible comme tant d'autres, soumis à cette forme de violence que nous connaissons tous. Allons, camarade invisible, tu la connais aussi, cette violence aussi transparente que nous : insidieuse et froide, quelque chose de silencieux. Elle nous efface légèrement, nous vide de notre substance, et nous rend transparent.

Nous regardons autant nos pieds que le sol que nous voyons au travers, on subit le monde et cela nous indiffère. On est dans un confort angoissant, dans une liberté qui a cette horrible odeur de renfermée. Et on continue de vivre, sans se soucier de l'avenir, à part nos rêves étroits, que nous savons irréalisables.

Pourtant, un jour, dont j'en garderai toujours le souvenir, plongé dans la foule et avançant sans but, je sentis quelqu'un s'écrouler devant moi, un crayon était apparu au sol. Alors que je me penchais, je cru distinguer les traits d'une transparente, mais ce qui me fit frisonner fut ses mots :

"Je vous vois."

Plus rien après, seulement la foule, la foule et un oeil, marron comme le plus beau des joyaux. Une teinte de couleur dans un monde privé de beauté. Un éclat fugace, juste une ombre sur ma rétine. Mais depuis ce jour le monde se colorie autant que cette ombre s'étend. Et plus les couleurs avancent, plus je me sens libre, plus je vois les transparents. Et soudain je l'aperçois.

Cet œil merveilleux, qui appartient au sourire de cette châtain, un sourire qui ferait fondre le monde. Elle me jette un stylo depuis sa place et disparaît, alors je sais ce qu'il me reste à faire.

A toi cher ... Je te vois.