Péripéties d'un carabin à l'hôpital 7

Pas d’anecdotes drôles aujourd'hui, je vais vous parler de mon premier patient, le patient zéro.

Je viens d'obtenir ma 1ère année, et je débarque dans un service dans le cadre de mon stage infirmier, pour me familiariser avec l’hôpital, et cela pour 3 semaines. Il faut savoir qu'on nous propulse dans le milieu hospitalier, sans aucunes formations ou cours.

Mon premier patient donc, un vieux monsieur, est là pour une légère confusion et dès le 1er contact le lundi, je me plante. Je laisse s'installer une relation grand-père/petit-fils et j'oublie pourquoi je suis ici et surtout pourquoi lui est ici. Je plaisante avec lui ainsi qu'avec sa fille et je ne mets aucunes barrières.
Seulement dès le lendemain, son état commence à se dégrader, la confusion se majore, et le bilan biologique se dégrade. Je me voile la face et reste dans le rôle que je me suis moi-même attribué.
Plus les jours passent, plus son état empire, plus sa fille s'assombrit. En fin de semaine, il est totalement confus, ne marche plus, ne s'alimente plus, ne parle plus et sa fille est en larmes à chaque visite.
Le vendredi, nous faisons de notre possible pour qu'il ne souffre pas, et je suis les infirmières pour aller fumer à la porte de sortie, juste après être aller le voir. Alors que nous parlons, un médecin ouvre la porte et nous dit "Monsieur X est mort, la famille est prévenue."
Je suis hébété sur le coup et suis le mouvement pour aller dans la chambre. Il ne bouge plus, à la bouche grande ouverte, et on me demande si je veux participer à la toilette mortuaire. Du haut de mes 18 ans, j'aide l'équipe à boucher ses orifices avec du coton, à mettre ses membres le long de son corps et à maintenir sa tête droite. L'arrivée de la famille est imminente, et en un instant je constate que les couloirs se vident, personne n'ayant envie d'être confronté à la douleur brute.

Ma journée est finie, je rentre en voiture chez moi, perdu dans mes pensées, partagé entre mes émotions. Je raconte ce qu'il s'est passé à un membre de ma famille qui est Médecin et il m'aide à comprendre que nous sommes obligés de mettre des barrières pour nous protéger, pour ne pas encaisser frontalement. Et c'est à partir de ce jour que j'ai commencé à prendre une distance protectrice, en essayant de trouver le juste milieu entre empathie et retrait.

Dès le lundi suivant, je commençais à rire à l'humour noir de mes collègues. Je comprenais maintenant à quoi ça servait.