La vie c'est formidable
Cette fois je vais pas vous raconter une des énormes conneries irréparables qu'il peut m'arriver tous les jours dans ma chienne de vie. Cette fois ça va être bô.
Il y a deux jours, j'ai décidé de faire le thug, j'ai quit le boulot et j'ai eu droit à un arrêt maladie pour la première fois. Notez bien que j'avais rien en vrai, quoi qu'en dise le docteur. Je me suis fait porter pâle pour un jour, parce que je voulais faire une surprise à une fille.
Du coup le lendemain, pas de travail, je saute dans un covoit et part à 400 km (sortie non autorisée, promis docteur!) pour la rejoindre subrepticement. Pour un jour, oui.
J'ai passé un super après-midi en sa compagnie, et il va sans dire qu'elle a tout de même apprécié un tel coup de folie de ma part. J'étais (on était) bien, jusqu'au soir, et jusqu'au lendemain matin.
Ce matin donc, je me lève à 5h et des poussières pour sauter dans le train, parce que bon j'ai quand même un travail en vrai et que malgré tout je l'ai pas encore perdu. Je laisse ma muse en coup de vent, et m'envole alors que son sourire m'accompagne. C'est vachement plus simple de se dire au revoir comme ça, alors qu'elle retourne dormir et que je trotte allégrement dans le froid de la nuit pour ne pas louper mon transport. C'est même carrément cool de s'embrasser une dernière fois à la porte, hébétés et embués par le sommeil, plutôt que de se déchirer le coeur en se voyant partir sur le quai de la gare.
Bref, je vole donc vers d'autres horizons que je n'étais pas supposé quitter. Et pour ça j'ai une correspondance dans l'une des gares les plus glaciales que j'ai pu connaître, celle de Valence-TGV. Les voyageurs savent de quoi je parle : c'est un pur nid à courants d'air, isolée et perchée au milieu de rien d'autre que les bourrasques et le gel.
Une demie-heure d'attente pour le train suivant. Il est 7h15, le soleil est toujours bien couché, et les gens déambulent comme des âmes égarées.
Je prend un bon espresso noir à la petite boutique au centre de la gare, et m'installe comme je peux dans dans un fauteuil inconfortable, pour déjeuner les quelques crêpes que la gentille jeune fille chez qui j'ai passé la nuit a préparé. Un vrai régal avec le café, et malgré la brise incessante qui filtre par les vitres craquelées, je me sens plutôt bien, même si à cette heure-ci je ne suis jamais réveillé d'ordinaire.
Et puis, vous le savez probablement, il y a maintenant des pianos en libre accès dans toutes les grandes gares. J'ai toujours envie d'aller en jouer, je me débrouille pas mal, mais la plupart du temps ils sont déjà occupés. En l'occurence oui, une étudiante pratiquait quelques exercices sympa et de tous types, un petit coup de lettre à Thérèse (bah non, pas Elise), Comptine d'un autre été - L'Après-midi, du Chopin vite fait mais un peu raté, tout ça pour finir sur le thème de Pirates des Caraïbes. Puis elle se lève et s'en va en un instant, comme chaque ombre de passage qui vient s'exprimer timidement au milieu de la foule avant de disparaître. Je me suis levé aussi, à quelques mètres, pour éventuellement jouer quelques notes à mon tour avant de prendre le TGV quelques minutes après.
Je regarde alors le piano, là, au milieu de cette plate-forme penchée et biscornue. Hésitant, sans bouger. Et là, il se passe quelque chose.
Un homme agé, en tenue traditionnelle maghrébine renforcée d'un manteau épais pour ne pas avoir froid et d'un bonnet, se meut à pas feutrés juste à côté de l'instrument. Il accolle sa valise au fauteuil, puis y prend place, avec toute la délicatesse d'un père portant son nouveau-né. Un léger grincement alors qu'il se rapproche des pédales, audible comme si tout le reste du monde avait cessé de rugir. Même la traditionnelle voix d'annonce s'est tue.
On ne voit pas le visage de l'homme, il est un peu voûté, tout renfermé sur lui-même. Un petit craquement de doigts qui se tendent au moment de venir effleurer les touches.
Un peu tremblant, un peu mal assuré. Des petites fausses notes résiduelles au début.
C'était juste la situtation, le réunissement de tous les petits éléments qui ont ponctué ces heures hors du temps, le cumul de moments si intenses. Le vieil homme a juste appuyé quelques accords lents, profonds, qui ont résonné dans tout le bâtiment de verre et d'acier. Et putain, dans ce summum de quiétude paisible, j'ai le menton qui s'est mis à froncer, le bout du nez à picoter. J'écoutais, j'étais envahi par la musique toute bête et éphémère. Et j'ai pleuré, debout, silencieusement, comme un fdp de fragile. J'ai beau être un peu un fdp de fragile au fond, je m'y attendais pas.
Je me suis senti navré de repartir déjà, rassasié d'avoir partagé du temps avec ma belle, fatigué par la nuit courte, ravi du bon goût de mon petit déjeuner, transi par le froid mordant de la gare, satisfait de mon coup de tête inattendu, ennuyé d'avance par le boulot qui m'attendait et auquel j'allais arriver en retard de toute façon.
Mais bordel, je me suis surtout senti tellement heureux de vivre. Rien que d'y repenser, j'en ai les larmichettes qui me perlent.
J'étais debout, pour un instant, dans le vent du voyage, arrêté à quelques pas derrière un homme que je ne connaîtrais jamais, et qui a déchaîné toutes les émotions que je contenais. Mes larmes ont coulé tout droit sur mon visage, jusque dans mon col, et aux coins de ma bouche. Je souriais, crispé, et tellement bouleversé.
Puis je me suis mis à marcher pour rejoindre ma correspondance, laissant derrière moi le vieux et le piano, avec ces notes si terribles qui rythmaient mes pas. Je me suis senti tellement bien, tellement heureux d'être là, impromptu, au milieu du vide.
J'ai beau dire que j'aime la vie, mais bordel, j'aurais jamais de mot assez fort pour le dire vraiment.
TL;DR : Voyage d'un jour sur un coup de tête, gare TGV avec un piano, vieil arabe, plein d'émotions, pleurs de fragile.
(photo non contractuelle, c'est celui de Bordeaux ça.)
@Amumu: Merci bien j'ignorais l'existence de ce groupe ( y'a du talent chez les chouals !)
@Gump: My pleasure ! Et oui en effet j'espère que le groupe continuera longtemps à être alimenté même si pour ma part je suis en panne sèche.
@rekted: Bah je suis arrivé avec une heure de retard, et je me suis quand même bien emmerdé. Donc oui.
J'ai eu l'impression de lire un roman, tu utilisais des mots un peu compliqué et parfois poétique j'ai tout lu mais j'ai mis 1 h à peu près, bref t'es un fragile quoi :D
C'est vrai que la gare de valence, tant que je peut l'eviter je le fait.. Elle a quelque chose de froid ! mais je comprends ce que tu as pu ressentir.
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