L'United Auto Workers et l'âge d'or de Détroit, 1930's - 1960's

Détroit a été fondée par les français en 1701, d'où son nom qui vient tout simplement de « détroit ». Située sur un lieu stratégique, la ville se développait lentement, jusqu'à ce qu'elle devienne un moteur de l'industrie américaine.

C'est durant les années 1890 et 1900 que les industries automobiles s'installèrent à Détroit et dans sa banlieue. De grandes marques automobiles implantèrent leurs usines, notamment Ford (1), General Motors (2) et Chrysler. Ces trois là forment le fameux « Big Three ». Entre 1900 et 1930, le nombre de travailleur explosa, attirant un grand nombre de personnes en ville, provoquant un véritable exode rural. La population de la ville explosa, passant de 285 000 habitant en 1900 à 1,5 millions en 1930. La ville prospéra et l'économie était au beau fixe. Pourtant, les conditions de travail restaient extrêmement difficiles, les ouvriers venant tous de classes populaires (3).

Suivant les principes du fordismes, le travail était aliénant, épuisant, voir parfois dangereux (4). Si les travailleurs restaient plus ou moins dociles au début du XX siècle, la crise de 1929 changea la donne. En effet, le secteur automobile ne fut pas épargné par la crise économique et les années 30 s'annoncèrent difficile pour ces centaines de milliers travailleurs qui vivaient et travaillaient dans des conditions de plus en plus difficiles, sans parler du chômage croissant. Étant l'origine de la prospérité de Détroit, un grand nombre de travailleurs se regroupèrent en un syndicat, celui des « United Auto Workers », l'UAW, créé en 1935 par Walter P. Reuther (5).

Commença alors une lutte pour améliorer la condition de vie des travailleurs, ces derniers représentant une grosse part de la population vivant à Détroit. Sans surprise, les grands industriels refusaient de reconnaître le syndicat, qui était vu d'un très mauvais œil. Une importante grève eu alors lieu en 1937, avec principalement des sit-in pacifiques (6 et 7) et des manifestations dans la rue (8), bloquant la production pendant plusieurs dizaines de jours. Finalement, General Motors et Chrysler finirent par signer une convention reconnaissant l'UAW, marquant ainsi la première grande victoire du syndicat (9).

Ce fut plus compliqué pour Ford, puisque l'entreprise était bien plus puissante et possédait ses propres milices. Celles-ci allèrent jusqu'à affronter les syndicalistes de l'UAW le 26 mai 1937, devant l'usine de River Rouge, dans la banlieue de Détroit (10 -Walter P. Reuther est le cinquième en partant de la gauche-, 11, 12 et 13). L'affrontement fut si violent qu'il est connu comme étant la bataille de l'Overpass. Ford parvint à déloger les travailleurs, mais perdit le soutien de l'opinion publique, l'événement ayant été suivit par la presse.

Les travailleurs ne déméritèrent pas pour autant et continuèrent leur lutte, manifestant toujours plus pour leurs droit, comme lors de la manifestation de l'UAW en février 1938 (14) où 100 000 personnes ont manifesté dans les rues de Détroit pour l'emploi. Le syndicat gagna de l'importance au début des années 1940, à ce moment là un travailleur sur trois avait une carte syndicale, et après une vague de protestation la première convention collective finira par être signée chez Ford en 1941.

L'entrée en guerre des USA fin 1941 fit tourner les usines à plein régime pour l'effort de guerre (15), comme par exemple les usines Chrysler qui fabriquaient des chars (16 et 17). Malgré la guerre qui avait entraîné la mobilisation de millions d'hommes, Détroit continuait sa croissance, étant une ville riche et active avec une industrie florissante (18, 19 et 20 -photos de 1942-).

L'après guerre marqua le début de l'ère de la consommation de masse. Les syndicats étaient cependant plus puissant que jamais et, après une autre série de grèves en 1950 (21), l'UAW signa avec les Big Three le Traité de Détroit, donnant énormément de droits sociaux aux travailleurs : salaires indexés sur les prix et sur la productivité, assurance-maladie et retraites pour les syndiqués qui gagnèrent ainsi une protection sociale unique aux USA. Tout cela en échange de se montrer productif et de ne plus faire grève.

Les syndicats avaient gagné une belle bataille, et les travailleurs des Big Three virent leurs droits considérablement augmentés et leur condition de vie améliorée. Si ce traité fut signé à Détroit grâce à l'UAW, il eut un impact sur tout le pays, faisant entrer les millions d'ouvriers des usines automobiles dans la classe moyenne.

Ainsi, dans les années 1950, Détroit était à son apogée. En effet, contrairement à ce que l'on pourrait croire, toutes les victoires des travailleurs n'avaient pas empêché le développement des Big Three, ces derniers continuaient de voir leurs bénéfices grimper et les usines tournaient à plein régime (22 et 23). La population de Détroit devenait de plus en plus riche, les travailleurs ne faisant plus parti des classes populaires, tandis que le nombre d'habitants continuait de croître. En 1950, Détroit avait une population de 1,8 millions d'habitants, c'était alors la cinquième plus grande ville des Etats-Unis (24 et 25).

L'UAW avait amélioré la vie de millions d'américain et devint assez populaire pour que Walter P. Reuther se présente pour devenir maire de Détroit. Cependant, une bonne partie de la population blanche de la ville, conservatrice, dans un contexte de peur du communisme, préférèrent voter pour des Républicains.

Dès la toute fin des années 1950 et le début des années 1960, les Big Three eurent alors une idée pour contrer le pouvoir de l'UAW : la délocalisation. Les grands complexes de Détroit fermèrent les uns après les autres pour se délocaliser dans le Sud du pays, alors désert syndical, où les travailleurs avaient beaucoup plus de mal à défendre leurs droits. Alors que les USA étaient en pleine croissance économique d'après guerre, le taux de chômage augmenta dans la ville qui était pourtant le moteur industriel de l'Amérique.

En parallèle, les années 60 furent marqués par le mouvement des droits civiques pour les populations noires que l'administration républicaine et conservatrice de Détroit traita avec violence (cf https://choualbox.com/CpsyM), marquant définitivement le début du déclin de Détroit. La ville vit sa population décroître et s'appauvrir, de vastes pans de Détroit furent à l'abandon (26 -photo de 1991-), les gigantesques complexes industriels automobiles n'étant plus que l'ombre d'eux-mêmes (27 -photo de 2008-).

Ce fut pire avec la crise économique de 2008. Le gouvernement chercha à sauver l'industrie automobile en dépensant des milliards de l'argent public, comme ce fut le cas en 2009, mais rien pour sauver la ville, sa population (qui était tombé à 700 000) et ses derniers travailleurs. Pour l'administration le problème restaient les ouvriers car ils ne sont pas assez compétitifs. De ce fait, le gouverneur, un républicain du nom de Rick Snyder, obligea la ville à se déclarer en faillite, ce qui poussa à la renégociation des conventions collectives dans les services municipaux. Autrement dit, ils s'attaquent aux droits sociaux pour les réduire le plus possible, et imposent une cure d'austérité à une ville appauvrie.

Détroit est aujourd'hui connue pour être une ville en ruine, avec ses quartiers entiers abandonnés aux allures de ville fantômes. Elle fut pourtant le moteur du développement industriel et automobile des États-Unis, ainsi que le berceau de l'UAW, au cœur des luttes sociales qui changèrent l'Amérique.

L'United Auto Workers et l'âge d'or de Détroit, 1930's - 1960's
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anonyme
anonyme
6 ans

Excellente box ! Je savais que la crise de 2008 avait été dure pour cette ville mais j'ignorais que les problèmes avaient commencés dans les années 60... juste parce que les constructeurs automobile ne voulaient plus se faire emmerder par des syndicats, quitte à faire crever une ville entière.

C'est beau, putain !

Ptilait
Ptilait
m
• Sir Oizo (par Thepeasant)
6 ans

Très bonne box !
Je suis surpris de la délocalisation pour échapper aux syndicats. Le problème réapparait forcément dans un autre état ? Surtout que le syndicat est présent à travers le pays.

C'est également ironique de voir que les droits des ouvriers sont réduits.

Senten
Senten
6 ans

Superbe box qui mérite plus de visibilité. Je pos' bien sûr.

genty2212
genty2212
6 ans

Il y a pas justement un redémarrage de la ville ces derniers temps ?

Ptilait
Ptilait
m
• Sir Oizo (par Thepeasant)
6 ans

@genty2212: Si je crois, grâce à des jeunes startups.

Zedix
ZedixCharles Darwin
6 ans

@genty2212: J'avoue que je ne connait pas trop l'actualité de Détroit dans les moindres détails, mais de ce que j'ai vu il y a effectivement quelques initiatives comme les jardins communs ou la rénovation de vieux bâtiments importants (comme le Michigan Central Station en 2015). Mais comparé au reste de la ville, je sais pas si on peut appeler ça un "redémarrage".

Voici quelques infos en vrac que j'ai trouvé sur la ville ces dernières années:
-La population continue de chuter, passant de 711 000 habitants en 2010 à 672 000 en 2016.
-En 2014, on estime qu'environ 50 000 des 261 000 structures (soit environ 20%) de la ville ont été abandonné.
-Le réseau électrique est si vétuste qu'il y eut une importante panne de courant en 2014.
-En 2015, le seuil de pauvreté est de plus de 35% alors que la moyenne nationale est à 13%.
-En octobre 2017 le taux de chômage de la ville est plus du double du taux de chômage national.
-La criminalité y est très présente, le taux de crimes violents étant dix fois plus élevé qu'à New York en 2012.

Pour quelques infos supplémentaires, j'ai trouvé cet article (en anglais) qui traite justement de l'état de Détroit, daté de février 2017 : https://www.citylab.com/equity/2017/02/detroits-recovery-the-lass-is-half-full-at-most/517194/

Darwin
DarwinCharles Darwin
6 ans

@genty2212: ce n'est pas réellement un redémarrage économique, mais la ville est aujourd'hui à la pointe en terme d'agriculture urbaine afin d'être autosuffisante sur le plan alimentaire. On en voit d'ailleurs une partie dans le documentaire "Demain".
http://fr.traxmag.com/article/39865-detroit-ruinee-la-ville-de-la-techno-revit-grace-a-l-agriculture-urbaine

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