Dans un coin reculé de Bali, à demi plongés dans les eaux d'une piscine à débordement, nous faisions face à une cascade près du village d'Ubud (photo 1). Notre journée commence dans ce restaurant huppé de l'île, on s’est d'ailleurs fait passer pour des "amis de Maurice" auprès de la sécurité pour pouvoir rentrer dans ce lieu luxueux qu'il faut normalement réserver à l’avance. Maurice n'existe pas, mais ça a marché. Cependant un sentiment de lassitude face à tout ce faste et ces artifices nous gagne, on se sèche et reprenons nos motos en cette fin d'après-midi.
"Bon... Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
- Bah, je sais pas.
- On va tout droit ? et on voit ce qu'il se passe ?
- Allez vas-y."
Sur l'une des îles les plus sublimes du globe, où la nature fourmille et la fête bat son plein, nous nous trouvons dépourvus d'idées quant à l'occupation de notre journée. Dans ce genre de situation, autant poursuivre tout droit et voir ce qui se passe. C'est donc le plan pour cette fin de journée. Après une dizaine de minutes de route, mon estomac se manifeste bruyamment et je suggère à mon ami de se restaurer dans un petit boui-boui typique du coin, si possible. Nous nous arrêtons devant deux hommes en habits traditionnels, près d'un temple. Qui de mieux pour solliciter des conseils ?
"Le temple est ouvert ?" demandé-je. "Oui, mais il ferme dans 10 minutes, dépêchez-vous !"
La faim est oubliée, et nous nous trouvons revêtus de robes dissimulant nos mollets. (photo 2) Nous atterrissons sur un vaste terrain parsemé de petits temples balinais, le crépuscule nous éclairant de sa lueur unique dans cet espace désert où nous sommes les seuls.
"Putain mec, tu vas pas me croire", me dit mon ami.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- J'ai vu un gars au loin nous faire signe de venir, puis disparaître.
- T'as vu un fantôme, y'a personne ici
- J'te jure ! Viens avec moi"
Nous approchons et, au détour d'un temple, découvrons un petit homme fripé qui nous sourit. Nous le suivons et, en un instant, une trentaine d'hommes surgissent de nulle part pour nous encercler. Le vieux monsieur nous fait grimper sur un muret, et en un compte à rebours rentit 3, 2, 1 : COMBAT DE COQS.(photo 3)
Deux coqs magnifiques et imposants s'élancent l'un contre l'autre, la foule rugit à supporter son poulain plumé. Une lame acérée est attachée à leurs pattes et, en quelques seconde de combat acharnés, transperce le cœur du coq blanc. Le sang coule lentement, colorant peu à peu son plumage lors de son agonie qui prend fin. Alors que son cadavre est emporté comme une vulgaire volaille, le cortège funèbre des parieurs disparaissant aussi vite qu'il est apparu.
"Qu'est-ce que c'était que ça, bon sang ?" Tout s'est déroulé si rapidement, d'une seconde à l'autre on est passé d'une retraite spirituelle à une boucherie divertissante.
Un autre homme nous invite à le suivre, et nous rejoignons l’attroupement pour aboutir dans la cour arrière du temple où une foule immense et bruyante sont en train de parier sur la dizaine de coqs au centre d'une arène spécialement aménagée pour l'occasion. (photo 4)
On se dit qu'on est tombé dans un réseau mafieux balinéen de paris illégaux, mais finalement nous nous prenons au jeu et remportons quelques paris sur la vaillante vollaille. L'homme à côté de nous, curieux par notre présence, nous parle anglais et nous explique cette tradition n'a lieu qu'une fois par an. Il nous demande où nous allons dormir ce soir.
"Nous n'avons pas encore réservé d'hôtel car nous ne savons pas où nous allons dormir ce soir.
- Venez chez moi, alors !"
Mon ami, peu rassuré, hésite : "Mec, c'est sérieux ? On le connaît à peine, ce gars." La curiosité l'emporte, et nous nous laissons guider par cet homme d'une cinquantaine d'années, bien portant et aux yeux malicieux. C'est une scène assez comique car nous nous retrouvons à le suivre en moto jusqu'à sa demeure, il porte un coq à moitié mourant et ensanglanté perché sur sa tête, qu'il compte remettre sur pied pour un futur combat. La tête branlante du pauvre animal se balançant au rythme des saccades de la route de terre que nous empruntons pour nous engouffrer dans la pampa nocturne.
Nous suivons donc ce propriétaire de coq à demi mort sur son deux roues et atteignons, en pleine nuit, un portail imposant. Il ouvre et nous invite à pénétrer dans un vaste espace vert mal entretenu, plongé dans une obscurité noire et un silence de mort.
"Attendez-moi ici, je reviens avec mon neveu."
Nous attendons donc, seuls, dans le noir. Mon ami commence à paniquer : "Mec, c'est un piège. Ils vont voler nos motos et nos sacs. Attends, mets-toi là-bas, et moi je vais me mettre là. Oriente ta moto vers le portail, comme ça, si les choses tournent mal, on pourra partir, etc..."
À vrai dire, à ce moment-là, il a réussi à semer une petite graine d'inquiétude en moi. Jusqu'à ce que je remarque qu'un petit chaton avait grimpé sur le devant de ma moto pour me réclamer des caresses.
"Ne t'inquiète pas, s'ils étaient des malfaiteurs, ils n'auraient pas un chaton aussi mignon que celui-là." Et effectivement, l'homme revient avec son neveu comme prévu. Ce dernier, sympathique, parle anglais et nous conduit jusqu'à une petite maisonnette où un grand lit avec salle de bains nous attend. Le temps qu'ils préparent les draps, un vieil homme sénile sort de nulle part et tente de nous baragouiner quelques mots en anglais. La chambre est prête, nous leur proposons un petit pécule pour les remercier de l'hébergement, qu'ils refusent pour finalement accepter face à notre insistance. (photo 6)
Avant de nous laisser, l'homme nous apprend qu'en face du temple où nous l'avons rencontré se déroule une cérémonie unique que nous ne devons pas rater ! Après les adieux et avoir pris possession de notre nouveau logis, nous avons mangé avec mon ami dans un petit boui-boui (enfin !) proche de la maison. Mission plus que réussie, car c'était vraiment le type d'endroit improbable que nous souhaitions découvrir pour notre casse croute quelques heures auparavant : une cuisine traditionnelle rudimentaire face à un champs, avec pour seul compagnon les bruits de la campagne et des petits jeunes à moto qui passaient par là. (photo 6, le repas de fortune local dont nous avions tant rêvé)
Sur les conseils de notre logeur de fortune, nous retournons sur nos pas et découvrons un magnifique lieu de culte face au temple. Une cinquantaine de femmes de tous âges y dansent en synchronie, leurs mains bougeant lentement, cassant leurs poignets avec volupté au rythme de la musique, avançant subtilement petit pas par petit pas… Face à elles, les chefs des villages alentours ainsi qu’une vingtaine de joueurs d’instruments traditionnels. (photo 7 et 8)
Peu de gens assistent à la cérémonie, à part la famille proche des danseuses et un seul étranger qui vient chaque année avec son guide local. Nous discutons avec lui, il nous explique que nous avons en fait atterri dans le plus ancien village de Bali, et que nous assistons à l'une des cérémonies traditionnelles les plus importantes. En effet, les filles sont formées depuis leur plus jeune âge à cette danse traditionnelle et sont appelées par le chef du village à danser pour cette cérémonie unique dans leur vie de manière totalement aléatoires ! Elles peuvent avoir 5 ans, 23 ans, 42 ans etc... elles n'ont aucune idée quand elles seront appelé à faire ce rituel important qu'elles ne peuvent faire qu'une seule fois dans leur vie. Certaines femmes ont plus de 80 ans et ont attendu toute leur vie ce moment crucial. La plupart ont notre âge, car les jeunes filles quittent maintenant les villages pour étudier et tenter leur chance en dehors de l'île. Les chefs de village leur font donc vivre ce moment de tradition avant leur départ et s’assurer ainsi de la bénédiction des anciens qu’elles recevront.
Nous sommes vraiment ravi de pouvoir partager cette intimité avec les locaux qui prennent plaisir à nous expliquer les détails de leur culture si particulière. On se sent vraiment dans un autre monde. Nous partons avant la fin de la cérémonie pour prendre un verre, puis allons dormir.
Au petit matin, une douce mélodie nous réveille. En ouvrant la porte, nous tombons sur un homme presque nu en train de danser devant une vieille dame. Il semble répéter des pas de danse traditionnels tels que ceux que nous avons pu apprécier le soir dernier. (suite en commentaire, petit paragraphe de fin)
TL;DR : On est allé tout droit, et il s'est passé des trucs
Au petit matin, une douce mélodie nous réveille. En ouvrant la porte, nous tombons sur un homme presque nu en train de danser devant une vieille dame. Il semble répéter des pas de danse traditionnels tels que ceux que nous avons pu apprécier le soir dernier. À la lumière du jour, nous explorons les alentours de notre maisonnette : un grand espace de danse, de longs sentiers bordés de maisons, certaines plutôt élégantes pour Bali (photo 10). À la fin de son cours, le danseur nous remarque et vient vers nous.
"Hé, attendez, vous avez dormi ici ?
- Heu, oui.
- Vous êtes sérieux ?
- Comment ça ?
- Vous ne réalisez pas, vous venez de passer la nuit chez le danseur traditionnel le plus célèbre de l'île !"
Il est lui-même un acteur américain, ici pour se préparer à un rôle. Il nous explique que le vieux monsieur sénile avec qui nous avons parlé hier est l'un des danseurs les plus renommés de sa discipline. De nombreux réalisateurs américains sont venus ici pour leurs films, ainsi que la directrice du Cirque du Soleil pour ses danseurs.
En sortant de notre logement pour reprendre la route, la porte des voisins s'ouvre devant nous, et une vieille dame nous invite chez elle. Nous découvrons les créations de sa famille en matière de masques traditionnels (photo 11) qui sont confectionnés seulement pour les cérémonies officielles. En reprenant nos motos avec mon ami, nous roulons quelques mètres puis nous arrêtons.
"Putain, qu'est-ce qui vient de se passer en fait ? C'est fou."
Nous sommes allés tout droit, et il s’est passé des trucs.
Merci ! j'écris vite fait par rapport à la limite de texte et éviter de passer pour un mec qui se la raconte, mais des fois j'aimerais bien m'étaler sur les descriptions oui, ou développer plus précisément les caractères des personnes que j'ai rencontré
Je suis jamais parti en vacance, mais Bali reste l'un des endroits les plus accueillant d'après pas mal de retour que j'ai eu, ça donne envie !
Bari en Italie est pas mal non plus, surtout quand tu descends dans les Pouilles. Pas cher et vraiment très plaisant !
Je me dis que si jamais je décide de voyager, j'irais plus loin que l'Italie, néanmoins je prends note ! J'airais bien en Islande moi <3
