Tous les matins, sur le chemin qui me mène au travail, je vois toujours à la même heure le même adolescent. Dans la nuit noire de décembre, il longe la voie où les voitures foncent, menant leurs conducteurs encore hagards, tirés de la chaleur de leurs rêves par le réveil quotidien qui les a extirpé d’une nuit trop courte. Le front déjà plissé de rides de soucis, l’adolescent vêtu de son gilet réfléchissant éclaire l’herbe devant lui avec la lampe torche de son smartphone. Dérisoire tentative de se rendre visible aux yeux encore mi-clos des zombies motorisés. Il n’y a aucun trottoir à cet endroit, pour rejoindre l’arrêt de bus auquel il doit se rendre dès 6h45 pour rejoindre son école. Les pieds trempés par l’herbe inondée des pluies torrentielles qui ne s’arrêtent plus de tomber depuis un mois, je l’imagine, la morve au nez et les orteils gelés, se demander ce qui est le pire entre être malade et fatigué six mois de l’année parce qu’il vit dans le fin fond de la campagne des bouseux, et être mort parce qu’il aura choisi de marcher sur la bande blanche de la route. Chaque voiture qui file à plus de 90km/h tout près de lui est comme une balle de fusil qu’il espère et qu’il craint en même temps.