Péripéties d'un carabin à l’hôpital 25

Je me dirige maintenant vers la consultation d'Oncologie. La première patiente et son mari rentrent dans la salle, visages crispés. A peine assis, le mari caresse le dos de sa femme, et je comprends que la situation est grave. La patiente a la quarantaine, 3 enfants, travaille dans une association caritative et semble être une personne délicieuse. On lui a diagnostiqué il y a un an un cancer du sein, elle a subi une chimiothérapie, une radiothérapie, une hormonothérapie, une thérapie génique, et on lui a entièrement enlevé le sein malade. La cicatrice est à peine perceptible, et on a du mal à croire qu'il y avait un sein tellement la peau est lisse et sans relief. Le médecin fait l'annonce, le cancer a récidivé et il y a des métastases osseuses. La patiente et son mari encaisse la nouvelle, contrairement à moi qui a la gorge nouée. Je suis envahi par une tristesse indescriptible, je ne comprends pas pourquoi. La patiente tient le coup jusqu'à ce que le médecin lui annonce qu'elle va devoir recommencer une chimiothérapie. Elle pleure toutes les larmes de son corps, est inconsolable malgré les baisers et câlins de son mari qui essaye de ne pas perdre pied. Moi je constate impuissant qu'une sorte d'étau me broie la gorge, que les larmes mouillent mes yeux, et qu'une peine infinie me dévore. J'ai du mal à reprendre le contrôle, à reprendre mes esprits, et en voyant la force du mari, le stoïcisme du médecin, je me dis que je n'ai pas le droit de pleurer, et que je dois tenir le coup pour la pauvre femme. Je me concentre de toutes mes forces pour ne pas pleurer, et je tiens le coup avec difficulté, surtout quand le mari finit par craquer...

La consultation est finie, je suis mal, très mal. Le médecin voit que ça ne va pas et prend le temps de parler avec moi. Je sors fumer une cigarette et je reste debout, immobile, les yeux dans le vague, hanté par les pleurs et le futur de la patiente. Je remonte dans mon service, et déambule dans les couloirs comme un zombie, perturbé. Je n'arrive pas à me concentrer. On me charge de faire un électrocardiogramme, j'entre dans la chambre de la patiente qui est squelettique, abrutie par les anti-douleur, elle a pris 20 ans avec sa maladie et la chimio n'a épargné que quelques cheveux qui sont éparpillés sur son crâne lisse. Je suis dans un état second.

Habituellement quand je quitte l'hôpital, j'y laisse les horreurs que j'y ai vu et rentre l'esprit tranquille, mais pas cette fois-ci. Des morts ou des annonces de mort prochaine, j'en ai vu des paquets, mais ça concernait le plus souvent des personnes âgées. Si j'ai aussi mal vécu cette consultation, c'est parce que la patiente était une jeune mère de famille et que pour une fois les mauvaises nouvelles étaient adressées à la personne concernée, et non à la famille.

Même si la soirée que j'ai fait le soir même m'a remis sur pieds et fait passer à autre chose, je me demande si je serais assez fort dans l'avenir pour tenir le coup.

Arrête de fumer stp c'est une honte je trouve !

Mon daron a été diagnostiqué d'un cancer du poumon y'a 2 ans et l'année dernière c'était le cancer du sein pour ma mère... Normalement ça devrait aller pour les deux, mais j'ai jamais osé leur demander comment se passait le traitement de peur d'entendre une mauvaise nouvelle.

Merci en tout cas pour tes témoignages, c'est la box que j'attend le plus chaque semaine !

Super émouvant j'en ai les larmes aux yeux , continue encore j'adore lire tes péripéties ;)

J'aimerais me rassurer en me disant que la plupart des médecins sont comme toi et ont autant de cœur et d’empathie vis à vis des patients mais malheureusement trop de ceux que je connais ont un peu trop tendance à se prendre pour des Dieux et s'en battent les couilles des patients tant qu'ils leur rapportent des thunes...
J'espère que tu restera comme tu es en tout cas et merci pour ces partages !

Oncopédiatrie. Je suis pas médecin, je suis pas patiente, "juste" une proche. L'aile des ados est dure à traverser (encore plus à aller tous les jours =), mais alors la salle d'attente pour voir la pédiatre, c'est l'horreur absolue. Les enfants ont toutes les réactions, certains sont joyeux, d'autre assommés par les traitements. Les ados ont... la tronche d'ados détachés et blasés. Mais les parents, voir leur regard vide... J'ai vu les effets d'un médulloblastome (et de son traitement "haut risque") sur un grand gaillard de 23 ans, alors j'imagine très bien l'état d'un enfant de trois ans. Voir un petit de moins d'un an, avec la mère qui tiens une perf d'une main et le bébé de l'autre, ça choque aussi.
Je hais cette salle d'attente..

Une fois, j'attends dans le couloir qu'on fasse les soins à mon homme, une femme s'approche et discute avec moi, me trouvant souriante et motivée (t'as pas le choix, si tu souris pas, t'es mort). Au bout de cinq minutes, elle me dit avec un sourire calme "Oui, j'ai eu un cancer du sein il y a quelques années. Là j'ai reçu (la veille de noël) mes résultats, récidive, partout dans les os. J'ai fait à manger pour tout le monde, on a passé un joyeux Noël, et le 26 je les ai rassemblé et je leur ai dit. Ben vous savez quoi jeune fille ? Le pire dans la maladie, c'est les proches. Sans eux on y arrive pas, et parfois avec eux, c'est encore pire, merci de sourire même si votre fiancé est dans cet état" Cette femme m'a tout connement annoncé qu'elle allait mourir, qu'elle le savait, surtout après insistant sur le fait que la chimio n'améliorait pas du tout son état, et la seule chose qui lui vient, c'est de remercier une couillonne comme moi, qui était là à sourire dans un couloir d’hôpital où t'entend bien plus souvent des pleurs.
Et je la remercie, même si je doute qu'elle ai eu un bilan aussi heureux que mon fiancé, parce que sourire a été sensiblement ma seule arme relativement efficace..


Et merci (encore si je l'ai déjà dis), ces posts sont vraiment vraiment bons. Il faut beaucoup de courage et d'abnégation pour faire médecin..

Bon courage!

Elles sont belles tes histoires... Très touchantes.

Les infirmières que je connais ont souvent dit que l'oncologie était le pire service, mais celui où tu apprends le plus.

L'oncopédiatrie, je pense que t'y laisse ton âme...

Si tout les medecins pouvez être comme toi.. pas insensible aux malheurs des autres :)
Tu es un gars en or ^^

Putain c'est quand même un métier difficile, respect.

Dans ta dernière péripétie je t'avais demandé si ça t'arrivait de repenser aux choses horribles que tu peux voir pendant la journée. Un parfait exemple ici, l'histoire m'a prise aux tripes! Comme d'habitude, un vrai plaisir de te lire. Surement une de mes séries de box préférée depuis que je suis sur Choualbox.

J'imagine que le médecin est habitué et qu'il doit quand même faire son travaille en restant professionnel, il ma fais penser à cette box http://choualbox.com/MyAyE . Je trouve très courageux de ta part d'avoir résisté .

Génial comme d'hab !
L'oncopédiatrie par pure curiosité même si ça doit être la violence.

P'tain mon gars. Je rentre de soirée, je suis bien pété. Mais là, tu m'as presque fait chialer. Je t'en veux et je te remercie pour ce beau moment d'humanité. C'est dur pour toi, je suis de tout cœur avec toi mon gars !

C'est incroyable tout ce que tu dois vivre dans ta vie quotidienne avec ce taff (que ce soit en bien ou en mal). Tu dois être en mesure de relativiser sur ta vie à côté de façon carrément plus profonde, et plus "intéressante". Je t'envie sur ce côté la.

Bon courage en tout cas (comme d'habitude)

j'ai créé un compte juste pour pouvoir te pos'

Une fois de plus, ton histoire transmet une sacré dose d'émotion et nous serre la gorge. J’espère que tu peux vider ton sac avec ton entourage ou du personnel hospitalier car comme tu le dit, ça ne doit pas être simple tous les jours.
Bon courage pour la suite.