Péripéties d'un carabin à l’hôpital 19

Service de Neurologie, je suis jeune étudiant et je débarque dans ce service avec de vagues notions vu qu'on a survolé en cours cette discipline au combien difficile. J'essaye de prendre mes marques mais je galère et les internes ne me donnent que peu de missions, ce qui est compréhensible.
Il est déroutant ce service entre les patients paralysés, Alzheimer, fous, et confus. Chaque journée est une aventure et je commence à m'habituer aux cris des vieux déments. Petit plus un médecin sénior me prend sous son aile et m'explique pleins de choses dans une ambiance agréable et détendue.
Un mardi matin, une infirmière au sourire goguenard me rappelle que la visite du grand chef est le lendemain et je constate que le service est en effervescence. Tout le personnel met le service au carré et les internes sont sur les dents. On me demande de trier et de ranger impeccablement chaque dossier, tout doit être parfait. Mais que va t-il se passer le lendemain ?

Mercredi matin, 9h. Le chef va bientôt arriver et je constate que le service est vide, les infirmières et aides soignantes se sont planquées. Au loin je vois un petit homme à l'attitude très autoritaire arriver et en me croisant il me salue en me faisant un sourire crispé, plutôt flippant en faite. Je suis donc le chef de service et nous rentrons dans la salle des internes où attend mon interne tendu, très tendu. Le patron commence à parler dans un silence religieux, d'une voix grinçante. Il finit par faire ce qui ressemble à une blague et je ne sais pas si je dois rire ou pas, je regarde autour de moi et personne ne sait en faite. Il demande à mon interne de présenter ses patients, interne qui en est à son 7 ème semestre et est donc chevronné. Il parle d'une voix étranglée, bafouille, et tremble comme une feuille sous le regard d'acier et le sourire carnassier du chef.
Là concrètement je commence à flipper, car le tortionnaire est réputé pour bombarder les étudiants de questions.

La visite commence dans des couloirs déserts, on entend uniquement nos bruits de pas, personne n'osant parler. Mon interne a un cheveu sur la langue et le stress empire ses problèmes d'élocution, je ne peux qu'avoir de l'empathie pour lui. J’observe le visage du tyran pendant la présentation de mon interne et remarque qu'il est impassible, froid. Mon interne se débrouille bien, et le bourreau se contente d'un glacial "bien" avant de continuer la visite. Au prochain patient, il me demande de dos de décrire le trajet d'une artère partant de la colonne vertébrale et finissant profondément dans le cerveau. Je dois citer précisément chaque bifurcation et chaque artères collatérales. Je ne sais pas répondre. Je regarde autour de moi et vois mes collègues et mon interne baisser les yeux et je comprends que je n'aurais aucune aide. Je sais que ce dictateur hospitalier a déjà invalidé le stage d'une externe parce qu'elle n'avait rien répondu à une de ses questions, et j'essaye tant bien que mal de répondre.
C'est laborieux, non maitrisé, lui et moi savons parfaitement que je n'ai pas la réponse mais il prend son pied en me laissant galérer de longues secondes, des secondes de torture. Toujours de dos, sans un regard, il me lance un glacial "Il faut réviser son anatomie", je me congèle sur place. L'ambiance devient de plus en plus pesante, lourde, il semble aimer ça, et pose des questions maintenant à mes collègues qui ne savent pas répondre comme moi.
Il regarde maintenant un scanner cérébral, pointe une structure avec le curseur de la souris et me demande ce que c'est. Encore une fois je ne sais pas répondre, encore une fois il le sait, et il me laisse pendant au moins 30 secondes me liquéfier sur place. Il me donne la réponse, je n'avais jamais entendu parler de cette structure. Je ne me sens pas bien du tout, comme une merde, il faut que cette visite se termine.

Nous trouvons notre salut dans la chambre du prochain patient où le mini Hitler constate que le médecin traitant a prescrit un médicament formellement contre-indiqué. Il prend son téléphone, l'appelle, et l'incendie avec une violence hallucinante et cela pendant bien 5 minutes. Je me fais tout petit dans la pièce et attend que ça passe.
La visite se termine et Néron repart au loin, comme il est arrivé. Nous, les rescapés, retournons dans la salle des internes sans un mot et poussons un long soupir de soulagement. J'entends du bruit dans les couloirs, les infirmières et aides soignantes réinvestissent les lieux.