Péripéties d'un carabin à l’hôpital 20 : Fuck Yeah !
Service de réanimation chirurgicale, un matin ensoleillé sur fond de chants d'oiseaux. J'arrive d'excellente humeur dans ce chouette service où j'assiste au staff matinal quotidien. La matinée se déroule sans tracas mais je jette de temps en temps un regard vers notre chambre d’accueil spécialisée, réservée aux grands traumatismes. Ça fait un bout de temps que du personnel s'y active et je me demande bien ce qui s'y passe.
Après la pause déjeuner, je prends le temps d'aller voir et un médecin présent m'explique la situation : chute dans les escaliers avec multiples fractures dans un contexte d'alcoolémie (2g/l), chez un patient ne buvant pas habituellement et réputé calme. Je suis troublé par ces révélations et un doute s'immisce en moi. L'énorme coquard à l’œil droit ne me parait pas clair, et autant de fractures pour une chute d'escalier chez un patient aussi jeune, me parait louche. Je m'approche et commence à chercher des traces de coups ou de griffures, des plaies au niveau des jointures des doigts, et à ce moment le médecin me demande ce que je fais. Je lui explique ma théorie : Cet homme ne boit jamais et a été invité à une soirée où il a fini à 2g/l. Peut être que l'alcool le rend violent et qu'il s'est battu ou embrouillé avec quelqu'un , ce qui expliquerait l’œil au beurre noir, et une éventuelle projection dans les escaliers ayant entrainé de multiples fractures cohérentes avec l'impact. Il n'a été retrouvé qu'au petit matin, ce qui est plutôt étrange dans un contexte de soirée.
Le médecin marque un temps, me félicite pour cette réflexion et m'annonce qu'il va faire un examen médico légal dans l'après midi.
La journée se poursuit et nous recevons une patiente dans le coma pour un motif infiniment regrettable. Elle avait des parties de son œsophage très serrées, ce qui la gênait pour manger, et c'est pourquoi une dilatation avec un ballon a été réalisé. Le problème est que la dilatation était trop forte et que l’œsophage s'est rompu, déversant ainsi son contenu dans le médiastin (là où il y a le cœur, les poumons) et entrainant une sévère infection de celui-ci. Je regarde son dossier informatique et je ne trouve aucune raison expliquant cette indication de dilatation œsophagienne, mon chef fait également chou blanc. Next.
Alors que mon chef m'explique 2.3 trucs sur l'infection du médiastin, mon interne vient me voir et me demande de commencer à préparer un patient pour l'emmener passer une échographie/doppler dans un service éloigné. Je suis étonné qu'il veuille qu'on déplace ce patient intubé, en détresse respiratoire aigu et je suggère de faire descendre l'appareil jusqu'à nous. Il est ok et nous partons dans le service d'imagerie. La manipulatrice de l'appareil est d'accord pour se déplacer, et mon interne repart dans notre service pour confirmer par téléphone l'examen à son chef. Je traine un peu et en repartant, la seule interne du service m'invective et nous commençons à discuter. Les yeux écarquillés j'intègre le fait qu'elle est en train de me dire qu'à part elle il n'y a aucun médecin dans le service en ce vendredi après midi, qu'elle ne sait pas lire les écho/doppler et qu'au final c'est la manipulatrice de l'appareil qui va interpréter les images alors qu'elle n'a aucune véritable formation médicale. Finalement elle me conseille de déplacer l'examen au lundi matin, quand les médecins seront revenus. Je me souviens que mon interne est sensé appeler son chef, et sentant la catastrophe arriver, je cours jusqu'à mon service et arrive essoufflé au moment même où il venait de composer le numéro. Je lui dis de tout de suite raccrocher, et je lui explique la situation. Il rentre dans une colère noire et répète inlassablement "C'est quoi ça ? On est dans un hôpital public là oh !!! Ils se foutent de notre gueule ?" Au final l'examen aura été fait au retour des médecins, le lundi matin...
La suite en commentaire !
Je regarde mon interne furax partir au loin, et vois arriver un mes co-externes qui ne semble pas aller bien. Il m'explique qu'un patient qu'il apprécie va mourir dans l'heure et en regardant ses constantes vitales sur le pc, je m’aperçois que c'est malheureusement vrai. Les doses de drogues pour maintenir le tonus de ses vaisseaux sanguins sont gigantissimes et pourtant inefficaces, et son cœur bat à 20 battements/minute.
Je sens que la mort est imminente et dis à mon pote de partir tout de suite, je vais m’occuper du décès.
30 minutes plus tard son cœur s'arrête, et je le vois étendu sur son lit, les yeux grands ouverts, immobile et je constate que la vision de la mort ne me fait strictement plus rien. On s'active dans sa chambre pour lui retirer ses poches gastriques,urinaires et autres dispositifs, et il faut du coup recoudre une plaie circulaire de 30 centimètres de long, et large à certains endroits de 10 centimètres. Je m'y colle et éprouve les plus grands difficultés pour faire mon travail, le fil qu'on m'a fourni est réservé aux sutures superficielles et casse tout le temps. Je m'active dans une salle surchauffée, des filets de sueur coulent de l'intérieur de mes gants, mes mains sont blessées par le fil tellement je dois serrer fort pour que ça tienne, les infirmières me mettent la pression pour que je finisse vite car la famille attend. Je finis déshydraté mais la plaie est entièrement suturée !
Déshydraté mais aussi affamé car il est déjà 20h, ma garde a commencé à 18h00. Nous allons manger avec mon chef et mon interne et la soirée se passe plutôt bien. Bien évidemment nous sommes appelés quand nous nous apprêtons à dormir, et la tête dans le sac je me dirige avec mon interne vers les urgences.
J'en ai vu des trucs hallucinants aux urgences ou à l’hôpital en général, mais là... Dans un lit miteux, je vois un vieux monsieur ayant les plus grandes difficultés à respirer, car ses intestins sont bouchés et leur contenu est remonté jusqu'à la gorge pour finir dans les poumons. Mon interne estime qu'il a entre 500 ml et 1 litre de merde dans les poumons. Mon interne donne les instructions aux internes des urgences, il faut intuber le patient. Au moment où il dit ça, un filet de merde coule le long de la bouche du pauvre homme et nous nous décidons de vite l'intuber. Problème : L'interne qui l'intube n'est pas douée et j'ai peur qu'elle lui arrache au sens littéral la tête, les infirmières n'ont pas le médicament pour l'anesthésier, nous sommes obliger de leur amener de notre service, elles ne savent pas comment le diluer pour l'injecter, et la machine pour ventiler le patient n'est pas prête au moment où le patient a le tuyau dans les poumons...
Je vois un orage se former progressivement dans les yeux de mon interne qui reste silencieux, et observe cette mascarade d'amateurs. L'intubation est terminée, je pars fumer une clope avec mon ainé qui fulmine et nous nous demandons si nous allons avoir des mauvaises nouvelles du patient dans la nuit.
Le lendemain matin j'ai eu le plaisir d'apprendre qu'il avait survécu.
P.S : Hey ! Et de 20 péripéties les amis ! Je ne pensais pas en faire autant, mais vos retours et commentaires m'ont vraiment motivé à continuer et à essayer d'améliorer mon style et ma narration.
Je sors de partiels aujourd'hui même et dois en préparer un énorme pour dans quelques semaines donc je serais pas mal occupé. Cependant j'avais prévu le coup, et j'ai écris quelques péripéties d'avance. Voila voila des baisers !
@Ulfric: Vu qu'elle pouvait pas être évacué par le bas, elle est remontée et c'est passé dans les voies respiratoires.
@Niqueau: Si il est externe au dessus y'a l'interne avec le médecin chef du service et en dessous les infirmiers je crois
Les blessures louches du premier type, les internes inquiets, le service vide un vendredi après midi...
Mais nom de dieu, tu sais que t'as réussi à installer un climat de folie? Dans ton texte, je veux dire. Au fil des lignes j'ai commencé à imaginer qu'il se passait des choses effroyables dans ce service, comme des internes qui tabassent des patients pour évacuer leur stress, que fatalemtent t'allait tomber sur un truc que t'aurais jamais du voir.
Bref, je me doute que les faits et la perception que t'en as eu devaient être à des années lumières de ça, mais c'est la forte impression qui s'est insinuée dans ma tête quand je lisais.
Tout ça pour te dire que tes péripéties sont aussi intéressantes que ton écriture est plaisante.
Sincèrement, c'est un bonheur de te lire régulièrement et d'avoir ce périscope dans le véritable Far Cry que peut être le milieu hospitalier.
Lâche pas!
Le fuck yeah du titre, c'est parce que je pensais que t'avais enfin baisé ton interne, j'suis désappointé.
Qu'est devenue la femme dont l’œsophage s'est rompu? Je ne comprends pas un truc, le dossier a été mal complété et vous ne compreniez donc pas pourquoi ils avaient conclu à cette dilatation?
Merci pour cette péripétie ;) et bonne mert' pour tes partiels
@Jotaro: Elle s'en est sortie ! On ne comprenait pas le raisonnement de la dilatation, pourquoi ça avait été recommandé.
Merci !
Sale fdp t'habites où pour qu'il y ait du soleil tous les matins quand t'arrives au taff ?
Fan de la dernière heure de tes anecdotes aussi croustillantes qu'alarmantes, je réalise que nous nous sommes déjà croisé depuis un autre recoin de l'espace digital :)
Belle plume !
Steve (anciennement d'EVO)
@Razorbakk: Je suis interne et je trouve tes histoires tirées par les cheveux. Tu récoltes les anecdotes sur e carabin ?
@KKmou: Si tu es interne comme tu le dis, tu devrais avoir un paquet d'histoires à raconter, et bien plus épique que moi. Tout est absolument vrai.
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