Péripéties d'un carabin à l’hôpital 24
Lundi matin, l'hiver pointe doucement mais surement le bout de son nez. J'arrive dans mon service, et j'apprends qu'on a deux nouveau patients, arrivés de la veille. Je prends le dossier du premier et peine à croire ce que je lis.
Le patient a 19 ans, a eu un accident de voiture et a fini dans le coffre lors de l’impact alors qu'il était initialement devant côté passager. Ils étaient 4 dans la voiture, tous sous l'effet de l'alcool et du cannabis, et il est l'unique survivant. Je rentre dans sa chambre et je ne vois pas un homme mais un animal. Il me regarde les yeux grands ouverts, les pupilles dilatées, il bave, émet des grognements, il est attaché à son lit et fait des mouvements désordonnés avec son corps. Je ne bouge plus, je le regarde et réalise qu'à 19 ans sa vie est foutu, et les résultats de son scanner cérébral, ne me donnent malheureusement pas tort.
A ce moment précis je me dis que si tous les conducteurs camés/bourrés venaient dans cette chambre pour voir ce qu'ils pourraient devenir, il y aurait nettement moins d'accidents. Je n'oublierais jamais ses parents le regardant se débattre dans son lit, en silence, ne bougeant pas un muscle, comme pétrifiés par l'horreur.
Je saisis le dossier du second patient, et je comprends que la matinée va être compliquée. L'homme de 40 ans est un alcoolique chronique qui a fusillé son organisme. Son pancréas est calcifié, ne fonctionne plus, son foie est cirrhotique. Il a tenté de se suicider précédemment en s'égorgeant, et je constate l'imposante cicatrice cerclant son cou. Il est entré dans notre service dans le coma après avoir tenté de se suicider avec des médicaments, et n'est pas prêt de se réveiller vu l'état précaire de sa santé. Son corps est bardé de tatouages, allant du traditionnel au mystérieux, du décoratif au symbolique. Je me demande qu'elle a été la vie de cet homme; je connais son avenir...
La suite en commentaire.
L'après-midi un médecin vient me voir et m'explique que toute l'équipe de l'unité va bientôt être mobilisée. Le patient qui arrive est alcoolique/toxicomane, et a passé le week-end en cure de désintox'. Le matin même, il est rentré chez lui, s'est fait un cocktail d'alcool/neuroleptiques pour se défoncer et a fini en arrêt cardiaque.
Le massage cardiaque a été débuté plus de 5 minutes après l'arrêt cardiaque, et ça fait 1h qu'il est massé par les ambulanciers qui l'amène. En gros il vient dans notre service pour qu'on fasse le constat de décès et qu'il file fissa au bloc pour le prélèvement d'organes. A son arrivée, il est massé depuis 1h15 (...) par cette machine https://www.youtube.com/watch?v=McDSxfwZAhE et croyez moi que c'est impressionnant à voir et à entendre. Tout le monde s'active : Les infirmières lui posent un cathéter à chaque avant bras, les médecins font un examen clinique, les aides soignant rasent son pubis pour préparer la pose d'une circulation extra corporelle vu que le cœur est HS, et moi je me débrouille comme je peux pour poser les électrodes d'ECG, en me frayant un chemin dans tout ce bazar. Ma mission ? Faire un électrocardiogramme continu pendant 5 minutes quand la machine qui masse est arrêtée, afin de voir si il y a un signal électrique et un pouls spontanés. Si ça n'est pas le cas, cela signifie qu'il est cliniquement mort. Je m’exécute et écarquille les yeux quand dans la dernière minute, un signal électrique apparait. Tout le monde hallucine, les médecins ne savent pas quoi faire, car bien que le patient soit foutu, on ne peut pas prélever ses organes si un signal électrique demeure, c'est illégal. Je refais un ECG qui restera définitivement plat cette fois-ci. Le patient est mort.
La famille est arrivée, le médecin va les voir dans une salle d’accueil pour leur annoncer la nouvelle. Il ressort et me dit que la salle empestait l'alcool et le tabac. Il est 16h.
Trois patients, trois contextes sociaux compliqués, trois destins tragiques.
Je savais pas qu'on pouvais utiliser des organes sur un tox ou un alcoolique. Ca abime pas trop les organes?
Ça dépend de l'état du patient mais en effet si les dommages internes sont trop importants, certains organes ne sont pas prélevables !
Si ça se fume, s'injecte, se boit ou se mange... il a essayé. Il a 42 ans... et 3 cures derrière lui dont un placement d'office de 3 mois. Ça a pas servi à grand-chose. Même le fait qu'il ait un môme n'a rien changé... Faut dire qu'avec une compagne qui a été condamnée pour trafic d'héroïne, ça n'a pas aidé.
Pour faire quelque chose, il faudrait changer l'entourage et virer la meuf les potes etc.... Si c'est moi qui m'en charge.... Je finis au trou pour homicides multiples.
Malheureusement, chaque fois qu'on tente de parler d'un truc comme ça... ça finit en engueulade entre lui et notre mère. Si c'est moi, il me met direct un pain dans la gueule et ça finit en baston.J'ai laissé tomber.
Il ne veut pas qu'on l'aide... Libre à lui. Mais qu'il ne vienne pas couiner plus tard.
S'il ne veut pas être aidé, tu es malheureusement impuissant... Si son enfant est en danger, contact les services sociaux. Il faut le protéger !
Quand la mère était au trou (4 ans dont 2 avec sursis), il nous a été confié à ma mère et moi. Les services sociaux l'ont depuis rendu à sa génitrice. Il paraît qu'elle fait des progrès... Ne bosse pas, n'a pas l'intention de chercher un taf, ne se lève pas pour l'emmener à l'école, est généralement à la bourre pour le récupérer... sans oublier comme dit délicatement mon frère qu'elle écarte toujours les fesses pour garder le nez dans la schnouffe. Quand nous tirons la sonnette d'alarme, on nous répond qu'on est pessimistes et qu'on ne voit pas les choses comme il faut.
Parmi les commentaires du gosse (il vient juste d'avoir 6 ans) :
Maman a beaucoup de copains parce qu'elle a besoin de beaucoup d'argent (sic)
On est en train d'y songer. Il a déjà vu un pédo-psychiatre parce qu'on savait pas trop comment lui annoncer que sa maman était en taule. Et le mec est professeur et chef de service au CHU local. Et il aime bien le gosse. Il considère que c'est une récréation pour lui le psychiatre. Je le comprends après avoir vu certains cas dans la salle d'attente.
je savais pas que la planche à massage faisait partie du matériel des hopitaux.
Dans les ambulances et les fourgons de pompier il n'y en a pas car l'ordre des médecins en interdisent encore l'utilisation en france.
Le patient est arrivé avec la planche à masser donc je pense qu'elle appartenait au SMUR !
je trouve ça étrange quand même. On s'est intéressé sur ces planches à mon travail, y'a la même avec défibrillateur intégré mais les deux sont encore interdites en France et normalement non commercialisé parce que cette merde qu'est l'ordre des médecins sont encore entrain de l'essayer.
Tu peux t'en procurer une en temps que particulier mais dans un SMUR j'trouve ça étrange. Même si c'est très bien, ça pourra sauver plus de vie ( même si on le sait quand on doit faire un massage cardiaque c'est surtout pour garder les organes en bon état mais la personne est déjà un pied dans la tombe) mais jusqu'à dernière nouvelle encore interdit.
Tu saurais me dire si t'en revois une ? Et savoir comment la personne se l'est procuré et la valeur légale pour le moment en France ? J'aimerai savoir si du coup ça se concrétise ou non enfin en France
L'inverse est pareil, je passe des journées de merde, et je vois ca, et je me dis qu'au final ma vie est pas si mal, pas la meilleure mais pas si mal
"Il a tenté de se suicider précédemment en s'égorgeant"
Bordel il aime pas la facilité le type.
Il avait quel age le troisième ?
Ah chaque fois que je vois tes boxs, je me dis fuck yeah une bonne histoire !
Il est conscient de qui il est et de ce qui lui est arrivé et les conséquences que cela à eu ? Ou heureusement pour lui il n'est pas plus en état de comprendre ? :/
C'est triste de finir dans cet état à 19 ans...
à cause d'un accident il est devenu une sorte de bête ? J'ai un peu du mal à comprendre le pourquoi du comment :(
dans ces cas là, l'euthanasie devrait être autorisée.
Enfin ça va être un calvaire pour les parents, etc ...
Il est insoignable.
Ça calme pas mal de lire ça, surtout le gamin ! Le seul rescapé mais dans quel état...
Je suis venu pour écrire ca mais tu m'as devancé ....
Qui voudrait continuer a vivre en étant un légume .....
La machine pour masser c'est un LUCA et c'est impressionnant a chaque fois, par la rapidité des mouvements et le bruit qu'il produit. Je confirme.
L'histoire du patient de 19 ans m'a vraiment perturbé, avec toutes les descriptions que tu fais; et ça n'est qu'un reflet de la réalité. T'arrive t-il, quelque fois d’être tellement choqué de ce que tu vois, que ça affecte ton quotidient pour les jours, semaines à venir ? (impossible de trouver le sommeil, y penser sans cesse, etc.) ou arrives tu à vraiment faire la "part des choses"?
En tout cas continue tes péripéties, c'est génial, comme d'habitude!
On s'y fait en faite, et on se blinde avec le temps. Pour l'instant je fais vraiment la part des choses, et à la seconde où je sors de l’hôpital, je n'y pense plus.
Merci :)
Impressionnant... Remarque, c'est une nécessité si tu veux pouvoir continuer à aimer ton métier et le faire correctement!
Si j'avais accumulé toute la souffrance des patients depuis que j'ai commencé Médecine, je me serais tiré une balle depuis longtemps. Tu es obligé de prendre de la distance.
Jaune soleil sur vert prairie, rouge sang sur noir bitume et 1, 3, 2, 4, 6, 5... Ça te dit un truk ? :P
Je me pose toujours la question quand vous (les médecins en général) voyez un patient qui se détruit littéralement par la drogue, le tabac, l'alcool etc... que vous voyez le mec passer deux ou trois fois par votre service avez vous encore l'envie de le sauver ?
j'ai encore jamais vu de médecin abandonné un patient et toujours faire ce qu'il pouvait pour le sauver.
On a une seule volonté : sauver nos patients. On n'est pas là pour les juger mais leur sauver la vie.
Merci pour la réponse et de ton coté tu 'as jamais failli baisser les bras face à une situation ?
Je me suis renseigné auprès du Conseil De l'Ordre avant de faire mes péripéties, et il n'y a pas de soucis, je préserve bien le secret médical. Je ne dis pas qui je suis, où je travaille, je ne nomme pas les patients et rien ne permet vraiment de les reconnaître. Qui plus est je raconte mes histoires avec un différé.
ok c'est cool si t'as vu ça avec le conseil de l'ordre. Tu comptes les publier un jour ? T'écris bien et c'est super intéressant !
putain ça me fait badé sur le nombre de fois que je suis monté dans la voiture ou sur le scoot d'un pote bien bourré....
Alors plusieurs trucs:
-L'autopulse (l'appareil pour faire un massage cardiaque), il n'y a pas un risque d'exploser la cage thoracique ? J'veut dire, ça à l'air vachement violent quand même !
-Quand on lit ce que tu dit sur le premier patient, toi en tant que médecin, qu'est ce que tu pense du suicide assisté, ou même dans les cas des "légumes", de l'euthanasie ?
Libre à toi de répondre ou non.
Encore une super chronique, la bise.
<3
Yep ça l'est ! Lors d'un massage cardiaque externe, il n'est pas rare que des côtes soient cassées, mais osef le principal étant de faire repartir le cœur ;)
Pour moi ça n'est pas un cas propice à l'euthanasie, le patient n'est pas vraiment un légume.
Merci :)
As tu un avis tranché sur l'euthanasie ?
L'euthanasie est il compatible avec vos serments de médecins ?
Très bien raconter comme toujours et je suis toujours autant absorbé par tes péripéties.
As tu pensé pour la suite à éditer un livres de tes histoires? Ça pourrait montrer le quotidien des médecins aux gens qui ignorent ce milieu!
Merci beaucoup ! Beaucoup de personnes me le suggèrent, je pense me pencher dessus quand j'aurais plus de temps ;)
@Razorbakk.
Je viens de lire toutes tes péripéties et elles m’ont toute laissé sur le cul. Tu as un vrai talent pour raconter tes histoires (tes rapports doivent servir de support de cours). Merci de nous raconter ses tranches de vie et de les rendre accessible a tous.
Bon courage pour la suite !
Wow, merci beaucoup l'ami :)
Si tu aimes mes péripéties, je te conseille de ne pas rater la prochaine. Ce que je vais raconter, est l'expérience la plus poignante et émouvante de ma jeune carrière.
Tu ne dois accéder à ce site que si tu as au moins 18 ans ou si tu as l'âge légal pour visionner ce type de matériel dans ta juridiction locale, l’âge le plus élevé étant retenu. En outre, tu déclares et garantis que tu ne permettras aucun mineur à d'accéder à ce site ou à ces services.
En accédant à ce site, tu acceptes nos conditions d'utilisation.