Les puces savantes

Une petite mallette posée sur une table. À l'intérieur, un cirque miniature muni de gradins remplis de personnages en plomb. Tour près, la loge des artistes. Un alignement de petites boîtes d'allumettes dans lesquelles se trouvent les puces et leurs accessoires.
La lumière s’éteint, le silence se fait et alors résonne la voix du professeur, micro-cravate autour du cou, cul de bouteilles vissées sur le nez.
La magie opère, les yeux s'agrandissent. Les puces dansent au rythme de la musique et s'affrontent dans des courses de chars endiablés. Sophie va-t-elle réussir à marcher sur cette corde raide ? Et admirez Hercule soulever ces poids 1000 fois plus gros que lui !

Difficile de connaître l'origine exacte de cet art, si ce n'est qu'il remonte à loin. On dit que Cléopâtre elle-même adorait qu'on lui présente des puces traînant des petits fardeaux grâce à des fils de soie.
On retrouve la trace de leur existence à travers les lettres de Mme de Sévigné, dans les écrits de Bruyères et dans les mémoires de Brienne. La discipline se développa réellement entre 1830 et 1930 avant de décliner jusqu'aux années 1970.

Une puce vit environ un an. L'astuce était de les enfermer très jeune dans un bocal fermé afin qu'elles ne sautent pas. Le harnais passé, l’entraînement pouvait avoir lieu. Pour leur faire botter un ballon, on y mettait une pointe de camphre, substance qu'elles ne supportent pas. Au bout de 6 mois, les plus habiles montaient sur scène avant d'être remplacée par une nouvelle fournée.

Certains dresseurs connurent leurs moments de gloire et virent leur nom entrer dans la mémoire :

L'oncle Roloff était courtier en bijouterie. Un jour, de passage en Italie, un meurtre fut commis dans son hôtel. Le malchanceux, les poches remplis de bijoux, fût immédiatement soupçonné et emprisonné. Deux ans plus tard, le véritable assassin est découvert et Roloff relâché.

Mais pendant ces longs mois de détentions, Roloff eut l'idée de tromper son ennui avec ce qu'il avait sous la main. Des parasites et des cheveux. Les puces ainsi tenues en laisse, il s’amusa et amusa ses comparses en les baladant d'un bout à l'autre de sa cellule. Galvanisé par ce succès, il entreprit ensuite de leur confectionner des petites voitures avec ce qui lui tombait sous la main, rendant la chose plus impressionnantes encore.

De retour à l'air libre, L'oncle Rollof remplaça les cheveux par de minces fils d'or et les véhicules par de minuscules voitures en argent. Le succès fut immédiat, et lui permit de parcourir le monde.
En 1888, la troupe se produisit devant la reine Victoria à la cour impériale de Russie, mais également devant d'autres monarques fascinés par ses puces savantes.
En 1896, au Vatican, son spectacle est salué par le pape Léon XII. L'homme gagnait alors jusqu'à 40 Livres par jour.

Il mourut à Rome en 1900. Il céda tout son matériel à son neveu et disciple et le nom perdura. Celui-ci continua de se produire dans de nombreuses foires à travers le monde, construisant toujours plus d'attractions pour ses puces savantes, comme des carrosses, une pompe à incendie et même un corbillard, le tout toujours relié par un minuscule attelage d'argent.

Autre illustre dresseur de puces, le professeur Robert Schmidt et sa famille qui parcourait les foires de franque avec son spectacle et ses plus de 200 artistes. https://www.youtube.com/watch?v=e4vpM_oyoaE

A chacun de ses passages à Paris, une foule se pressait à l'entrée, avide d'assister aux numéros des puces jongleuses, trapézistes, équilibriste ou danseuse.

Son travail était largement salué, et il y avait de quoi. Car à plus de 70 ans, Robert s'esquintait les yeux et les mains pour réussir à manipuler ses petites artistes. Muni d'une pince à épiler et d'une loupe, il fallait rattraper les fugitives, les harnacher sans trop les presser au risque de les tuer, et même parfois les habiller !