Le Guatemala, la United Fruit Company et le coup d’État de la CIA, 1954

La United Fruit Company est une société américaine fondée en 1899, dont la principale activité est, comme son nom l'indique, la production et l'importation de fruits. Elle proliféra dès le début du XX siècle et s'implanta dans de nombreux pays d'Amérique Latine : Colombie, Cuba, Jamaïque, Nicaragua, Panama, Haïti, Costa Rica et Guatemala (1 et 2).

Rapidement, la firme étend son activité, notamment au Guatemala. En 1901, le dictateur guatémaltèque Cabrera, sous tutelle américaine, offre ainsi à l'UFC le service de la poste entre son pays et les États-Unis ainsi que la maintenance et la construction des voies de chemin de fer. L'UFC obtient donc les moyens de transport et la communication du Guatemala, alors que ce dernier représente 25% de la production de l'entreprise (principalement des bananes). À partir de là, la firme américaine aura un contrôle ferme sur ce pays d'Amérique centrale.

En 1930, l'UFC impose de force le général Jorge Ubico (3) à la tête du pays alors que ce dernier est un admirateur de Mussolini et Franco. Il instaure un régime encore plus autoritaire où il interdit le droit de vote aux illettrés (75% de la population), impose un carnet où chacun doit avoir d'inscrit ses jours et heures de travail au risque d'être forcé à faire des travaux publics d'intérêt général. L'élite agro-exportatrice, directement sous influence américaine, contrôle le pays à tous les niveaux, à tel point que le Guatemala sera le premier pays d'Amérique latine à suivre les USA dans la guerre contre le Japon, l'Allemagne et l'Italie.

Sauf que la dictature et l'oppression du pouvoir guatémaltèque provoque des révoltes et un groupe de militaire libéraux, avec le soutien du peuple, finissent par renverser le dictateur Ubico en 1944 (4, 5 et 6). Pour la première fois de son histoire, le Guatemala tient une élection démocratique, à l'issue de laquelle Jose Arevalo (7) est élu.

Ce renversement de pouvoir ne plaît guère aux USA et à l'UFC. En effet, Arevalo est un socialiste, il s'attaque aussitôt à réduire les inégalités dans le pays, élabore un code du travail annulant le travail forcé, autorise la création de syndicats, reconnaît le droit de grève et attribue un tiers du budget à des programmes sociaux. Toutes ces réformes n'étaient pas au goût de la toute puissante UFC. Quand Arevalo quitta la présidence en 1951, il avait fais face à 28 coups d’État, dont il accusera les États-Unis.

Les élections au suffrage universel de 1950 virent la victoire de Jacobo Arbenz (8), un autre socialiste. Arbenz continue les réformes misent en place par son prédécesseur, adoptant des programmes pour la santé et d'alphabétisation, et adopte une nouvelle loi : le Décret 900. Cette loi agraire avait pour but de redistribuer les terres du pays aux paysans, en prenant 95 000 hectares appartenant à l'UFC. Pour autant, le gouvernement d'Arbenz cherche à être en règle envers l'UFC en lui dédommageant la somme de 627 572 dollars, prix basé sur la valeur déclarée des terres par l'UFC elle-même. D'autant plus que la majorité de ces terres ne sont même pas exploitées.

Pourtant, l'UFC refuse, considérant le dédommagement comme injuste. Arbenz tient bon, mais la United Fruit Company a le bras long. En effet, parmi les membres du conseil d'administration de la société on retrouve Allen Dulles, le directeur de la CIA, tandis que son frère, Jon Foster Dulles, est secrétaire d’État et est un ancien de l'UFC (9 – Eisenhower avec Jon Dulles). De plus, le sous secrétaire d’État d'Eisenhower, alors président des États-Unis, Walter Bedell Smith, est aussi un actionnaire.

Le développement des droits sociaux au Guatemala allant à l'encontre des intérêts de l'UFC -et donc des USA-, il fut décidé de renverser le gouvernement d'Arbenz. Naturellement, c'est la CIA qui s'en charge.

Pour ne pas passer pour les agresseurs, les américains doivent trouver une bonne raison pour remplacer Arbenz. Ce dernier étant socialiste, l'idée est facile à trouver : le Guatemala serait une porte d'entrée en Amérique pour le bolchevisme !

Dès le mois de février 1954, la CIA installe une fausse cache d'armes soviétiques au Nicaragua, pays voisin, afin de démontrer les liens entre le Guatemala et Moscou. Aussitôt, un blocus maritime est mis en place, bien que cela soit considéré comme illégal d'un point de vu international, aucun pays ne proteste réellement. On est en pleine guerre froide, et la paranoïa anti-communiste est à son comble.

Le 20 avril 1954, c'est le secrétaire d’État Jon Dulles (l'ancien de l'UFC) qui envoie une note au gouvernement d'Arbenz déclarant injuste l'indemnisation faite à l'UFC. Arbenz ne lâche pas. L'ambassadeur américain au Guatemala se rend alors devant le Congrès américain et déclare que le Guatemala est en train de devenir marxiste.

En mai, des armes de provenance de Tchécoslovaquie (Europe de l'Est) sont interceptées alors qu'elles arrivent par bateau. Le Guatemala avait tenté à mainte reprises de se fournir en arme en Europe de l'Ouest, en vain. Il n'avait pas eu d'autres choix que de se tourner vers la Tchécoslovaquie. Pour autant, la CIA utilise cette « révélation » comme preuve que le pays est bien à la solde de l'URSS.

L'Opération secrète PBSUCCESS est alors lancée. La CIA arme et entraîne dans un camp proche de la frontière guatémaltèque environ 400 insurgés (10 et 11), dirigé par le général Armas (12). L'assaut est lancée le 18 juin 1954, où les insurgés de la CIA attaquent plusieurs points à la frontière pour faire croire à un soulèvement de grand ampleur (13 et 14). Sauf que la fausse insurrection échoue et les quelques forces de la CIA sont refoulées. D'ailleurs, une personnalité importante combattu aux côtés des forces d'Arbenz et aida à repousser la CIA : Ernesto Che Guevara (15 -le Che avec Arbenz en 1954).

Cependant Arbenz n'est pas dupe, il sait que cette insurrection a été fomentée par les États-Unis et la CIA, et craint que l'échec d'Armas ne pousse les USA à intervenir directement militairement. Sous la pression américaine, et voulant éviter la guerre à son pays, Arbenz démissionne le 27 juin 1954 et s'exile à l'ambassade du Mexique avec Che Guevara. Le renversement du régime démocratique et pacifiste au Guatemala conforte encore plus l'idée pour le Che que la révolution sociale ne peut se faire que par les armes. L'expérience démocratique guatémaltèque fera d'ailleurs parti des inspirations qui poussa à la révolution cubaine, 5 ans plus tard.

Les États-Unis sautent sur l'occasion et placent Armas à la tête du pays (16, 17 – le vice-président Nixon visitant Armas en 1955). Aussitôt une forte répression se met en place. Dans les premiers mois, pas moins de 9000 personnes sont tués (18 et 19). Sans surprise, le Décret 900 est annulé et l'UFC récupère ses terres d'origines ainsi que des nouvelles.

L'UFC et les USA reprennent alors le contrôle sur le Guatemala. Commença alors une période d'instabilité et de violence pour le pays. Armas est assassiné en 1958 et d'autres généraux libéraux, cette fois-ci d'inspiration marxiste, se rebellent en 1960, en vain. Des insurgés, pour la plupart marxistes, se mettent alors à combattre la dictature en place. Celle-ci se montre violente, n'hésitant pas à pratiquer la tactique de la terre brûlée contre la guérilla, au détriment des paysans. C'est me début de la guerre civile guatémaltèque (20 à 24).

Le conflit durera jusqu'à l'accord de paix de 1996 (25). En 36 ans de guerre civil, le pays vit la mort d'environ 100 000 à 200 000 personnes, ainsi que le déplacement d'un million de guatémaltèques. D'après la Commission pour l'éclaircissement historique, 93% de ces violences sont attribués aux troupes gouvernementales, contre « seulement » 3% pour les groupes marxistes.

Aujourd'hui, l'United Fruit Company s'appelle Chiquita Brands International. Le Guatemala souffre encore des conséquences de cette guerre civil, avec une pauvreté et une criminalité très importante. À cause de sa production de banane, le Guatemala montre à lui tout seul les ravages que font l'impérialisme économique.