L'Affaire du Rainbow Warrior, 10 Juillet 1985

La France pratiqua de très nombreux tests nucléaires dans le Pacifique, principalement sur l'atoll de Moruroa. Les tests nucléaires y commencèrent dès 1966, d'abord effectuées à la surface (1), les explosions devinrent souterraines dès 1976 (2). La France était l'une des puissances nucléaires qui faisait le plus d'essais; rien qu'entre 1966 et juillet 1985, pas moins de 131 bombes nucléaires avaient explosé à Moruroa.

Tous ces essais nucléaires, aussi bien destructeurs pour l'environnement que dangereux pour les habitants des atolls alentours, provoquaient de vives contestations au sein des organisations écologistes, dont la plus célèbre était Greenpeace. Depuis 1978, l'organisation avait acquit son tout premier navire amiral pour les opérations en mer : le Rainbow Warrior. D'abord utilisé en Arctique (3 et 4), il fut envoyé au début des années 1980 dans le Pacifique Sud pour protester contre les essais nucléaires, aidant notamment des autochtones à quitter des zones irradiées (5 à 7).

La France voyait d'un très mauvais œil ce genre de protestation, croyant également que le Rainbow Warrior pourrait mener des actions agressives et que Greenpeace pourrait être financé en parti par l'URSS pour espionner les essais nucléaires. Ainsi, le 19 mars 1985, le ministre de la défence Charles Hernu (8 -à droite de Mitterrand) convoqua son directeur de cabinet pour organiser une opération contre le navire des militants.

Plusieurs hypothèses sont proposées, mais la plus radicale est retenue, celle de poser des charges explosives pour couler le bateau. François Mitterrand donna l'aval à cette opération dès le 28 mai, et le ministère de la défense confirma son début le 7 juillet 1985.

Les préparatifs avaient commencé depuis quelques semaines déjà. Plusieurs agents de la DGSE (service secrets français) étaient basés en Nouvelle-Zélande, dont Christine Cabon qui infiltra les militants d'Auckland au printemps 1985 pour connaître la date d'arrivée du Rainbow Warrior.

Le 10 juillet, le groupe passa à l'assaut. Alors que le navire se trouvait au port d'Auckland, un faux couple, surnommé les « faux époux Turenge » constitué du commandant Alain Mafart et de lacapitaine Dominique Prieur, transféra le matériel nécessaire à l'opération via un van de location. De là, trois nageurs de combats embarquèrent sur un canot pneumatique, piloté par un certain Gérard Royal, qui n'est autre que le frère de Ségolène Royal. Il se vantera d'ailleurs plus tard d'avoir lui-même placé une des mines.

Ils parvinrent à poser deux charges explosives, une petite destinée à faire évacuer le bateau, et une plus grosse pour le couler. La première explosa à 23h48, et l'équipage du navire (9) retourna sur terre, avant que la seconde explosion eut lieu à 23h51. Le Rainbow Warrior, très endommagé, sombra dans le port, dans lequel il resta plusieurs jours avant d'être déplacé (10 à 13). La seconde explosion fit d'importants dommages à la coque (14 à 16), mais provoqua surtout la mort de Fernando Pereira (17 et 18). Ce photographe néerlandais était descendu dans sa cabine après la première explosion pour récupérer son matériel. La seconde charge le tua. Il avait 35 ans.

Les « faux époux Turenge » furent arrêtés assez rapidement grâce à un vigile qui avait noté leur plaque d'immatriculation. Ils furent interpellés le 12 juillet par la police néo-zélandaise puis furent inculpés le 23 juillet pour « meurtre, incendie volontaire et association de malfaiteurs » (19).

Les services secrets français sont rapidement pointés du doigt, et même si le gouvernement nia tout intervention de la DGSE, des révélations faites par les journalistes Edwy Plenel et Bertrand Le Gendre le 17 septembre le forcèrent à revenir sur ses déclarations. Ainsi, Hernu démissionna et le patron de la DGSE, Pierre Lacoste, fut limogé le 20 septembre. Laurant Fabius, alors premier ministre, finit par admettre à la télévision que les services secrets français étaient bien à l'origine de l'attaque du Rainbow Warrior le 22 septembre 1985.

Suite à l'affaire du Rainbow Warrior, la France fut contrainte à verser 8,16 millions de dollars d'indemnités à Greenpeace en 1987. De son côté, l'organisation continua d'acquérir de nouveaux bateaux, et fit renaître leur navire en construisant le Rainbow Warrior II, quasi identique au premier, qui servit de 1989 à 2011 (20), avant de laisser la place au Rainbow Warrior III, en service depuis 2011 (21).