Ma maman...

C'était il y a de cela quelques années. A l'époque les 1ers symptômes de ma SEP commençent à me pourrir la vie mais pas suffisemment pour que je m'en alarme plus que ça. J'étais conscient que quelque chose clochait, mais pas vraiment envie de savoir quoi. Et avec mon train de vie de no-life ce n'était pas particulièrement dérangeant. J'habitais à Caen.

La FAC ne m'a pas vu depuis des mois, contrairement au magasin de jeux à 50m de chez moi où je tape le carton chaque jour. Avant de rentrer jouer en ligne, souvent jusqu'au jour. La belle époque !

Mais voilà, je dois être présent aux examens de fin d'année si je ne veut pas qu'on me demande le remboursement des quelques pièces qu'on m'a filé au titre de la bourse. "J'ai une excuse du toubib" ça ne marche que si on va le voir, le toubib. Et j'ai pas envie de le voir, le toubib. Le toubib il a sans doute des trucs à me dire que j'ai pas envie d'entendre alors le toubib il va peut aller bien se faire foutre.

Donc me voilà parti pour mon dernier partiel, je recroise des gens de ma promo qui semblent arnachés comme s'ils allaient escalader l'everest, d'autres qui sont là comme moi, pour faire le minimum syndical et se casser.

En entrant dans la salle je cherche mon nom et m'assois sur la chaise qui cède sous mon poids. Fou rire général. J'aurais au moins le crédit d'avoir soulevé le nuage de stress ambiant... La chaise était cassée avant selon le gus venu me voir, un enseignant, il s'excuse de ne pas l'avoir rangée ailleurs puis me dit d'en attraper une autre au fond de la salle. Je vois au fond un pote.

"Tarask, chaise !"

Ouais, je connait même plus son vrai prénom, mais on s'appelle par nos pseudo league of legend depuis septembre alors même en public y'a pas de raison.

Ni une ni deux la chaise vole au dessus de quelques rangées, j'attrape et m'assois.

...

Hé ben j'me suis bien fait chier. Tellement que j'ai rédigé l'intégralité de "suicide social" sur mon brouillon pour passer le temps. Le temps minimal écoulé j'me casse, bien content d'en avoir terminé pour de bon.

Pressé de retrouver mon pc je rentre puis je joue toute la nuit, demain c'est samedi, de toute façon même si c'était en semaine ce serait pareil.

10h12, mon tel sonne. Bordeeeeel...

Numéro inconnu. D'ordinaire il aurait pu aller se faire foutre mais je cherche à vendre deux trois bricole sur leboncoin avant de déménager, ptet un intéressé ?

"Oui allo ?" =w=

"Bonjour monsieur, gendarmerie nationale, vous êtes bien mr [mon nom de famille] ?"

Le genre de truc qui te réveille sans états intermédiaires. Pourquoi ? Parce que ma mère est suicidaire. Ce serait pas la première fois qu'elle essaye de se flinguer...

"Oui c'est moi"
"J'ai une équipe pas loin de chez vous, est ce qu'ils peuvent venir vous voir ?"

QUOI ? Mais c'est quoi ce délire ? Les pires scénarios se déroulent dans ma tête, ma mère s'est pas loupée cette fois, ils veulent être là pour pas que je fasse une connerie à mon tour et ne pas me l'annoncer au téléphone, m'ammenner au poste remplir de la paperasse, reconnaître son cadavre en miettes dans une morgue. C'est la panique.

"Monsieur [mon nom de famille] est ce que tout va bien ? Mon équipe va arriver rapidement, ne bougez pas de chez vous"

"Oui... Oui très bien"

"Je vous souhaite une bonne journée monsieur" clic

Je prends quelques secondes pour avaler ça, puis je me jette hors de mon plumard pour enfiler un jean et un tee-shirt, à peine la session habillage terminée, ça sonne. Putain ils attendaient dans la bagnole le feu vert ou quoi ? Je fais un rapide tour de la pièce des yeux, non j'ai beau chercher de toute façon je n'ai rien fait d'illégal, je n'ai rien à me reprocher même si c'est un peu le bazard...

J'ouvre la porte et tombe en face d'une petite blonde souriante encadrée par deux monstres de 2m, tous en uniforme.

"Bonjour monsieur [mon nom de famille] ! Est ce qu'on peut entrer ?"

Elle en fait trop, vraiment trop, putain de merde ma mère est morte.

"Oui, oui oui, entrez..."

je vous passe les "ho c'est sympa chez vous" et autres formules sympatiques de la blondinette pendant que les deux gorilles jettent des regards sur les murs couverts de posters et l'aquarium qui contient mes axolotls. J'ai leurs papiers alors faites pas chier...

"Monsieur [] asseyez vous s'il vous plaït"

Putain ça commence. Je m'assois sur mon lit pendant qu'elle prends place sur une chaise en face de moi. Il émane d'elle une compassion folle et une gentillesse palpable, mais là pour moi tout sonne too much et j'ai juste envie de lui coller une gifle, crache le morçeau putain !

"Monsieur [], (elle attrappe mes mains) on a trouvé votre lettre de suicide dans votre copie de partiel"

j'ai freeze. Les évènements de la veille me reviennent. J'ai pas écrit de lettre de suicide... Puis je percute. Suicide social. Orelsan. Dans la corbeille j'ai tout jetté. A moins que...

J'ai échangé le brouillon de l'épreuve et les lyrics. Putain j'ai dû le faire sans m'en rendre compte. J'ai jetté le brouillon et glissé les paroles dans la copie.

Ma mère n'est pas morte !

"Non ! Non non non ce sont les paroles d'une chanson !"

"Vous écrivez ce genre de chanson mr [] ? ça vous arrive souvent ?"
"Mais c'est pas la mienne ! C'est du Orelsan, en plus il est Caennais vous devriez le connaître !"

Je saute sur mon pc et je vous raconte pas la scène. J'écoute du orelsan sur mon pc dans 15m² accompagné de 3 flics en uniforme.

"Vous voyez ? Je m'ennuyais alors j'ai écrit les paroles de la chanson qui me passait par la tête, je vous assure que je vais bien y'a pas de lézard."

Un des deux gus qui n'avait pas ouvert la bouche jusque là pointe l'aquarium en riant "Si y'en a là"

C'est un amphibien connard. Je fais semblant d'en rire de bon coeur, et après quelques phrases d'usage et des excuses en bonne et dûe forme, ils finissent par partir.

J'ai passé le reste de la journée à mettre les choses au clair avec ma famille qui a été appellée par les gendarmes avant moi, histoire de voir si c'était possible que j'adopte ce comportement...

Quelle journée j'vous jure... Mais aujourd'hui elle me fait beaucoup sourire, j'adore la raconter, j'espère qu'elle vous aura fait marrer aussi.