Critique libertaire de la démocratie et du citoyennisme - Guillaume Deloison - TLDW/TLDR

Alors que pendant des décennies c’est dans le mouvement ouvrier que se sont exprimées les revendications sociales en France, depuis près de 30 ans c’est dans le cadre de la défense de la fonction publique par les citoyens que se sont exprimées ces revendications. Celles-ci sont assez simples : on oppose à la démocratie représentative et à la société néolibérale une démocratie directe qui annoncerait le renouveau des principes républicains. Cependant, si cette démarche est intéressante et souvent sincère, elle manque de recul sur nos institutions.

En effet, on retrouve pour beaucoup de phénomènes sociaux une tendance des individus qui les vivent à les naturaliser sans une vraie prise de recul : cela vaut pour l’état de nature décrit par les théoriciens du contrat social, qui s’il est pure abstraction est perçu à posteriori comme l’état naturel des choses, mais cela vaut également pour le travail.
Le travail en tant qu’activité productive séparée des autres activités humaines n’est pas apparue spontanément et lorsque les chercheurs s’intéressent aux sociétés de chasseurs-cueilleurs, le temps de travail est bien dur à évaluer. Par exemple, les rites précédant la chasse font-ils partie de la chasse, ou sont-ils un ornement ? Dans les faits, les chasseurs-cueilleurs passaient beaucoup de temps dans la journée à chercher de quoi se nourrir, à se vêtir, etc, mais il est dur de séparer nettement ce qui serait du travail de ce qui relèveraient davantage de la sociabilité, de la religiosité, etc.

Le travail tel qu’on le perçoit est un concept bien particulier car il permet de considérer indifféremment toutes sortes de tâches que l’on nommera sans nuance « travail ». Il est au fondement des relations, ce qui explique qu’une catégorie si abstraite et générale existe et nous semble si nécessaire. Ce concept s’est construit à l’issue d’un processus historique au cours duquel on a séparée producteurs et produits. Ainsi, cette évidence s’est construite sur le temps long, et échanger son travail contre de l’argent, puis l’argent contre des marchandises est devenu une pratique qui s’imposait sans véritable remise en cause chez l’individu qui le vit, alors même que c’est une vision extrêmement limitée de l’économie (à savoir, la science de la production, des échanges et de la consommation).

Pour revenir à la démocratie, il en va de même que pour le travail. Suite au déclin des concentrations ouvrières passées et à l a fin de l’identité ouvrière, un discours politisé a laissé place à un discours citoyenniste. Le point commun des tenants de ce discours est qu’ils s’appuisent sur un citoyen, abstrait, sans ancrage (genre, sexualité, couleur…) et en se basant sur celui-ci afin de porter les réformes de réécriture des institutions qui permettraient d’aller vers une société démocratique et perçue comme bonne (ajout du tirage au sort, assemblée mixtes, etc).
Seulement, cette approche nie l’antagonisme de classes qui peut exister au sein de notre société (pour ne citer que cet antagonisme) et valide sans réflexion le bien-fondé de l’État et du processus de décision politique actuel, totalement abstrait et déconnecté des réalités.

Là dessus, les assemblées générales que l’on a vu s’épanouir partout dans les universités dans le mouvement contre la loi ORE sont assez parlantes. On a vu dans ce cadre l’accès à ces assemblées générales refusé à ceux qui n’étaient pas étudiants dans l’université concernée et donné à ceux venant prendre ouvertement position contre la lutte, et ce au nom de la liberté d’expression. Cependant, quelle est la légitimité de ceux qui seraient opposés à la lutte pour venir s’exprimer dans un cadre de lutte ? Pourquoi la voix de ceux qui s’opposent aux droits des étudiants et qui poursuivent généralement des buts individuels et moralistes auraient la même portée que celle de ceux qui veulent mener la lutte pour toutes et pour tous ?

Tolérer ces interventions par démocratisme, c’est perdre d’avance. On ne veut pas reproduire les échecs de la démocratie représentative, et il ne suffit pas de déclarer la liberté et l’égalité pour que celle-ci prenne effet. Il faut se donner les moyens d’y parvenir concrètement, et prendre en compte les antagonismes et rapports de force qui s’exprime face au mouvement de lutte, sans complaisance.
Il n’y a pas de démocratie sans lutte contre la domination. Bien sûr, cette vidéo n’a pas pour but d’apporter une réponse définitive à qui doit participer aux AG, à commenter la parole doit être distribuée, comment les décisions doivent être adoptées, etc. Les solutions viennent et viendront toujours de la lutte en cours, à l’instant T et au lieu L de celle-ci.
Cependant, il faut bien comprendre que les blocages, grèves, occupations requièrent la participation active des personnes en lutte alors que le vote en AG relève de la même passivité que la démocratie représentative. Chacun doit donc s’emparer de la lutte, et il faut donner une dynamique à celle-ci plutôt que de tomber dans un narcissisme contre-productif. Il ne faut pas demander d’autorisation pour occuper et bloquer : c’est le nombre de personnes nécessaires à ces actions qui les valident. L’AG donne la force de se sentir nombreux, mais ne doit pas être le centre des luttes et ne doit pas devenir le porte-voix des opposants à la lutte.

Lorsque Nuit Debout occupait la Place de la République, ce n’est pas tant ce qui s’ydisait qui était important d’un point de vue collectif : c’était le fait d’occuper la place qui était central. Ainsi, la critique de l’État doit s’étendre à la République et à la démocratie. Ces deux institutions et les principes qu’elles portent ne doivent pas devenir un prétexte pour accueillir les conservateurs et réactionnaires qui souhaiteraient mettre un terme au mouvement de luttes.


TLDR : Vouloir plus de démocratie dans notre société ne suffit pas à remettre en cause l'ensemble des oppressions qui existent dans celle-ci : capitalisme, cishétéro-patriarcat, validisme, néocolonialisme, etc.
Le principe même de démocratie ne doit jamais être un argument légitimant des actions qui nuiraient au cours de la lutte, car c'est une pure abstraction.

Retranscription intégrale : https://guillaumedeloison.wordpress.com/2018/07/02/critique-de-la-democratie/

Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=xSD86N4hXsI

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grbb
grbb
5 ans

Oki, j'ai mieux compris comme cela. Je vais y réfléchir. Merci

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