Décidément, moi et les rousses...

Ce matin là c'était pas la joie.
Voyez vous j'ai un chat, et cette gourgandine féline n'a eu de cesse de miauler. Pas pour exprimer un quelconque manque particulier sinon l'absence de mâle pour la féconder. Oui à bientôt 7 ans elle n'est pas opérée, y'en a qui me gifleraient mais j'ai du mal à me dire que je vais la charcuter pour mon confort, alors ces nuits là je me contente de lui murmurer "dors..." La main distraitement posée sur elle afin de la calmer. Quelques caresses suffisent pour la faire taire, mais sitôt la main immobile elle recommence à braire.

Autant vous dire que la matinée s'annonçait corsée, au moins autant que le café que je songe à me préparer. Mais alors que j'éteint mon réveil d'un geste peu assuré un nouveau problème pointe le bout de son nez.

Mes jambes sont lourdes. Très lourdes. Comme dirais le JDG : Je sens qu'on va passer une BONNE JOURNEE ! Et voilà l'envie de pisser, ça à la rigueur ce n'est pas vraiment nouveau sur le tableau, il va juste falloir réussir à se bouger les jambonneaux...

Je conçoit ne pas être une célébrité, aussi me faut-il ré-expliquer. J'ai une sclérose en plaque, qui contre mon cerveau est passée à l'attaque. C'est vite résumé mais voilà pourquoi mes jambes ne marchent pas. Ou pas bien en tous cas.

Je parviens toutefois à les solliciter asser pour réussir à sortir de sous mes draps, se lever a été compliqué mais c'est passé à force d'insister, pensant vaguement que ce dois être hilarant pour qui y assisterait. En clair j'ai dû m'y prendre à plusieurs essais. Bon c'est pas le tout mais j'aimerais bien éviter de me souiller. Une autre joyeuseté, si je dois "y aller" grâce à ma maladie c'est souvent pressé. Très pressé.

Tant pis pour le café, la salle de bain est plus proche des WC que la cuisine, je m'en ferais un une fois lavé.

L'eau chaude termine de m'achever, je suis certain de m'être endormi sur mon siège quelques instants mais c'est vraiment pas le moment. Une fois habillé et coiffé je peux enfin avaler un café. Coup de bol mon colloc est réveillé et le temps de me doucher a suffit à remplir la cafetière, parfois j'ai vraiment l'impression de l'aimer comme un frère.

J'avale une biscotte façon écureuil puis regarde tour à tour ma béquille et mon fauteuil... La première me permet d'ordinaire de faire mes trajets réguliers, l'autre c'est surtout pour éviter que je me vautre, lorsque je suis très fatigué ça peut arriver.
Mais monter dans le bus sur mon destrier est une tentative qui a déjà été avortée par le passé. La marche est trop haute, les arrêts pas adaptés, sans parler de la place limitée une fois monté.

J'attrape ma béquille en esseyant de me rassurer. "Broaf, ça va aller..."

Des précautions pour gérer mon incapacité à la précipitation j'en prends des cartons, heureusement car sinon je devrais souvent soustraire le 1er bus à l'équation. Casque sur les oreilles avec une chanson qui évoque tout le contraire du sommeil, j'arrive tremblant au le banc sur lequel chaque matin de semaine j'attends.

Quelques regards se tournent dans la direction, oui madame je n'écoute pas d'Alain Mion, oui monsieur je dois probablement me rendre sourd peu à peu. On me regarde comme on le ferait avec un fou, mais j'en ai rien à carrer, cordialement, bisou.
Je me suis souvent amusé à penser à ce qu'il adviendrait si jamais je décidais de prendre ma veste pour l'enlever, dévoilant au passage les innombrables tatouages, le plus souvent invisibles, question d'image.

Toutefois aussi pesant qu'ils soient, les regards de travers ne m'interessent pas, j'ai lutté comme un beau diable pour arriver jusque là alors que ce n'est qu'à 5 minutes de chez moi, grimper dans le bus avec tous ces lambdas ressemblera à une vraie corrida. Mais ça, c'était sans compter sur Lolita.

Je n'avais aucune idée de son prénom en vérité, mais la vision de ses jambes dénudées lorsqu'elle est passée devant mon banc m'y a tout de suite fait penser, c'est la saison des shorts il semblerait. Et des corsets lacés, et des cheveux lâchés... Qui a laissé traîner un avion de chasse pareil dans mon bled paumé ?

Elle est parfaitement proportionnée, élancée, et sa chevelure flamboyante encadre un visage d'ange aux yeux verts. Je suis tombé sur une rareté. S'asseyant à ma droite elle me tends un sourire sybillin en s'installant, et commence à tapotter sur ses genoux distraitement.

Cette mesure difficile de ne pas y faire attention, puisque c'est celle qui régit ma chanson, celle qu'elle doit entendre forcément, celle qu'elle connaît par coeur assurément. Je coupe le son en voyant le bus arriver, instantanément ses doigts cessent de bouger, et un regard faussement agacé dans ma direction s'est tourné. Plus de suppositions, c'était bien le rythme de ma chanson.

Je me lève pour grimper et me prépare à la bousculade qui a déjà commencé, mais un éclat de voix arrête net l'échauffourée.

"HEY ! Laissez le passer !"

Et me voilà entre deux allées de gens bien trop dociles pour que tout ceci semble vrai. Quelle était cette magie qu'elle avait utilisé ? Mais sans me faire prier je me suis dépêché de monter, au moins ce matin peut-être aurais-je la chance de m'assoir sans sortir ma carte handicapé. Et c'est comme cela que ça s'est passé, une fois au fond, quelques places à ma disposition. Je n'ai compris qu'une fois assis que j'avais été suivi. En face de moi s'installe lolita.

Ce genre de moyen de locomotion offre une large portion tout au fond, un rectangle formé par les sièges épousant la forme du bus, permettant aux groupes de ne pas être séparés, permettant aux discutions de se perpétrer.

En clair il n'y a rien qui nous sépare, rien pour gêner mon regard, rien qui m'empêcherait de poursuivre cette histoire.

Un clic sur mon casque relance la chanson et quasi-instantanément je reçoit en pleine face un sourire déconcertant. Je lui trouve un air félin, prête à fondre sur sa proie, je me sens comme un crétin, incapable de faire plus que rien, en face d'une situation qui m'échappe dans toutes ses articulations.

Elle recommence à tapotter sur ses genoux, me jettant un regard qui va finir par me rendre fou, pris d'une soudaine curiosité je décide de changer de titre, voyons si elle connait cette autre musique.

Je n'ai bien sûr pas choisi au hasard, quelque chose de plus dur, plus rare. Avec des sabots quintuple XL, fini d'être une brêle. Maintenant c'est moi qui prends le volant, j'espère simplement qu'elle se laissera porter par l'instant. A condition qu'elle connaisse bien sûr, sinon ce sera "à la revoyure".

Mais la suite je ne m'y attendais pas, vraiment pas, certains diront que je n'était pas prêt, ça pour ne pas être préparé je ne l'était pas ! Ses lèvres ont commencé à bouger, parfaitement syncronisées à ce que j'écoutais, ses yeux dans les miens vissés, et moi qui perds totalement le fil, hypnotisé.

Ha non pas question ! J'avais décidé d'avoir un rôle à jouer c'est pas pour me laisser mener comme un 1er né, sitôt le refrain commencé je la prends à contrepied et commence aussi à réciter. Silencieusement, l'idée étant de ne pas se faire repérer par les autres usagers. Un accord tacite commence à émerger, une phrase sur deux c'est comme ça que nous avons partagés, pour cette chanson et celle d'après.

Et celle d'après.

Et celle d'après.

Et...

C'est magique. Inconsciemment nous avons même tous deux commencés à nous trémousser sur nos sièges, mimer le chant avec plus de passion, nous n'étions plus deux inconnus dans un bus, nous étions un duo virtose de la scène, et tant pis pour les autres, qu'est ce qu'on en a a foutre des autres !

Qu'est ce qu'on a pu se marrer, les mimiques exagérées deux deux côtés, les mouvements des bras et des doigts de plus en plus amples, les inhibitions qui se cassent avec dans leur valise la peur l'angoisse et les tracas. Bientôt nous sommes tous deux armés d'un micro qui n'existe nul part sinon dans nos têtes, lorsque ce n'est pas une guitare ou l'instrument à qui la musique se prête.

Il n'en faut pas plus pour qu'elle vienne à ma droite sitôt le siège innoccupé,qu'elle me tende un écouteur que sans aucune formalité j'attrape et attends ce qu'elle a à me proposer.

Je me fige, cette chanson je la connais. C'est la version Punk goes pop de Walk The Moon - Shut Up And Dance

Son visage bien trop proche du mien, nous recommençons à se partager les paroles, mais cette fois nous n'en faisons plus des caisses. L'intensité de ce moment je n'en ai jamais connu de pareil, j'ai même du mal à ciller. J'ai très souvent pensé que l'expression "se noyer dans les yeux" de quelqu'un était exagéré mais plus jamais je n'en douterais.

Elle s'appelle Aurore, ses amis l'appellent Dawn, elle est de 2 ans ma cadette et vis dans un patelin sur la ligne de train qui relie mon bled à Caen. Avec son copain.

... Avec son putain de fiancé.

D'elle émane une tendresse pour tout un chacun déconcertante, après avoir discuté plus en détail je me rends compte que j'aurais pu être n'importe qui la même scène se serait déroulée, décevant d'une certaine manière mais ça redonne de l'espoir en l'humanité. On est resté en contact, on échange des musiques, on bavarde.

Ouais j'suis deg, mais ça reste une belle histoire.

tl:tr : Bah elle non plus je l'ai pas baisée.

Poster un commentaire
XMaidoX
XMaidoX
5 ans

Toute cette belle histoire pour au final découvrir que t'écoutes de la zick de merde.

IMG
Twen
Twen
5 ans

@XMaidoX: Je l'attendais celle là ! Ma foi je t'en veux pas, les goûts et les couleurs toussa.

XMaidoX
XMaidoX
5 ans

@Twen: C'est vrai.

IMG
Mezut
Mezut
5 ans

@XMaidoX: Ptin l'histoire est géniale mais j'avoue que la musique... On est aux antipodes de ce que j'aime quoi

Godela
Godela
5 ans

TL;DR : tu avais plus moyen avec ta chatte qu'avec elle.

Daboulganiech

C'est vachement bien écrit en tout cas, c'est appréciable.
Après juste le fait que ses amies l'appellent Dawn, elle aurait mérité de se faire rouler dessus par le bus.

FregZile
FregZile
5 ans

@Daboulganiech: putain mon crush de lycée se faisait surnommer Dawn aussi. c'était une genre de californian emo...

Daboulganiech

@FregZile: Crush ? Bon est ce que tu t'es jeté sous le bus après l'avoir poussée ?

Chimere
Chimere
5 ans

C'est mignon. Ton histoire comme la chanson. Du genre à faire sourire le matin en se levant

Steamer
Steamer
5 ans

Tu mets des rimes partout c'est perturbant.

Wendigo
Wendigo
5 ans

Belle histoire... tu comptes en faire une comédie musicale ? Ça pourrait marcher !

LeTenia
LeTenia
5 ans

C'est beau.

TTPS
TTPS
5 ans

Super. Belle histoire. Tu ecris bien fais nous comme Seoseo, écrit un bouquin. Il paraît que c'est salvateur.

JudgeGregg

T'as mis de la poésie là où il n'y en n'a jamais : dans le quotidien de notre époque. C'est de lire des histoires comme ça qui fait que je reste persuadé que l'humain est pas si dégueu. Bravo bro.

yashky
yashky
5 ans

Putain ça fait deux fois quand même ..

Bon en vrai toujours aussi agréable à lire

Martos
Martos
5 ans

T'as intéret à la retrouver frère.
Et go CSB si jamais tu la retrouves enculé..

IMG
Twen
Twen
5 ans

@Martos: J'ai déjà lu ce commentaire quelque part...

Martos
Martos
5 ans

@Twen: Tu me fous le mors, j'avais eu le coeur completement retourné a la lecture de la premiere CSB, et la j'y ai cru jusqu'au bout putain.

Trop de frustration, besoin d'une réalisation pour toi la.
T'en es ou avec la premiere rousse?
Tu l'as recroisé, tu t'es marié avec elle c'est bon ?
<3 __ <3

Martos
Martos
5 ans

@Twen: Ah c'est toi le choual qui avait rédigé un pavé maladroit mais sympathique sur ton handicap en faisant un parallele avec le fait de vivre avec une nana que tu oserai pas présenter a tes parents !

Putain tu t'es amélioré, en toute humilité, le récit de la premiere rousse est parmi mes CSB préférées ;)

Twen
Twen
5 ans

@Martos: Hé ben ça me fait rudement plaisir !

Alorstchitchi

T es d ou a cote de caen

Twen
Twen
5 ans

@Alorstchitchi: ~120 km plus bas. Quand je parle de bled paumé c'est pas à moitié.

Alorstchitchi

@Twen: ben dis. Je suis du coin

Nigelix
Nigelix
5 ans

C'est tellement cool de lire des rimes.

Cette page est réservée aux ADULTES

Tu es sur le point d'accéder à un site web qui contient du matériel explicite (pornographie).

Tu ne dois accéder à ce site que si tu as au moins 18 ans ou si tu as l'âge légal pour visionner ce type de matériel dans ta juridiction locale, l’âge le plus élevé étant retenu. En outre, tu déclares et garantis que tu ne permettras aucun mineur à d'accéder à ce site ou à ces services.


En accédant à ce site, tu acceptes nos conditions d'utilisation.