Attentat socialiste russe à Alger #1

En Février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes appartenant au partie socialiste révolutionnaire organise un attentat à la bombe contre le Grand Duc Serge, oncle du Tsar.

Ça fait longtemps que j'avais envie de raconter ici des histoires de scène. Celle ci est celle d'un projet qui vient tout juste de démarrer. Dans l'idée de donner au récit la forme d'un journal perso plus que d'un compte rendu sur internet, j'ai volontairent grossi le trait sur l’orgueil et l'ambition. J'avais envie de cette forme.
Enjoy.

Jour 1

Ça fait des mois, peut être même deux ans, que j'ai pas été pris sur un projet professionnel sérieux. La dernière pièce en date c'était Lorenzaccio. J'avais le rôle d'Alexandre. Un des plus délicieux projets de ma vie. Depuis, presque rien, à alterner entre les boulots de figuration, un CDI arrangé d'agent d'entretient, en essayant d'écrire des textes souvent médiocres.
En janvier dernier, un ami que j'avais rencontré au conservatoire, Gaëtan, m'appelle et me branche sur un projet bénévole, financé par l'université du coin, destiné à confronter les étudiants en théâtre à des conditions professionnelles. L'idée est de mélanger dans une troupe des professionnels et des étudiants, pour un projet en conditions pro financé par l'université. J'ai alors rencontré Juliette, jeune metteure en scène avec un avenir radieux. Le bras très long et une grande force malgré son expérience très récente. Elle a un réseau en France et un GROS réseau en Algérie.
Je suis pas payé, seuls les trucs essentiels à la production sont défraies. Les répétitions se font le soir (enfin, la nuit plutôt). Emploi du temps des étudiants oblige. On a pas de techniciens, à peine un régisseur, étudiant lui aussi. La salle est petite mais neuve et parfaitement équipée. Faute de techniciens, c'est nous qui faisons le plan feu et montons les projecteurs, les pendants, etc... On y reste souvent jusqu'à quatre heures du mat. Mais je m'en fous, je donne tout ce que j'ai dans un théâtre et j'ai l'impression de vivre pour la première fois depuis des mois. Le projet va, traverse quelques turbulences diverses, et s'échève en Juin, triomphalement. Une belle expérience qui se conclut par une soirée très arrosée (étudiants oblige, encore uen fois) au cours de laquelle Juliette me confie avoir beaucoup apprécié de travailler avec moi et serait ravie de recommencer dans le futur. On se quitte donc là dessus, ivres morts.

Début Septembre. Juliette vient de rentrer d'Algérie, et m'appelle pour me proposer de prendre un café. Juliette ne propose jamais un café sans raison. Je fais un bond hors de mon appart et cours la rejoindre. En arrivant, j'essaie de cacher le fait d'avoir attendu ce moment depuis des mois. Ça fonctionne. Discussion sympa sur qu'est ce que chacun a fait de son été. C'est plus passionnant chez elle que chez moi. Enfin, elle en vient au fait. Elle monte un projet, professionnel cette fois, sur Les Justes, de Camus, et prévoit de le faire tourner à Alger en Janvier. Elle m'annonce que si je suis partant, j'ai une place réservée. Sur l'instant, je suis trop heureux pour penser calmement et réfléchir à la suite. Apparemment, elle hésite entre les rôles de Yanek Kaliayev, semi principal, et Stepan Fedorov, moins de place, mais grande importance malgré tout, idéologiquement dualitaire avec Yanek. Le premier illustre les "meurtriers délicats", un terroriste qui tente de respecter un certain sens de l'éthique et de la morale. L'autre est un misanthrope pour qui la fin justifie les moyens et qui considère par exemple que le meurtre et la terreur sont un moindre mal que celui qu'ils combattent par le meurtre et la terreur. Forcément, les deux vont s'opposer.
Les deux sont intéressants et plaisants à jouer, si on oublie la responsabilité éthique envers le texte qui constitue finalement un défi de plus. Mais j'aimerais beaucoup avoir Yanek.
Elle me propose de me replonger dans la pièce, et me dit que j'aurais bientôt des nouvelles.
Je coupe mes cheveux assez court et laisse pousser ma barbe.

Jour 5

Pour ce qui est de la pratique, j'ai eu l'occasion de m'entraîner depuis très jeune. Pour la théorie, j'ai arrêté les études trop tôt, essayant d'apprendre en autodidacte, et comprenant trop tard que les deux étaient un peu plus liés que ce que je croyais. Etudier des textes théoriques est furieusement plus difficile seul qu'encadré par un connaisseur.
Je connais déjà la pièce. Le texte, pas encore, mais ça viendra. D'autant plus que je dois pas exagérer dans l'étude approfondie des enjeux de l'oeuvre, ça sera le job du metteur en scène, c'est pas le mien. Pas trop en tout cas.
Du coup j'essaie de ressortir Alain Simon, Diderot, Stanislavski et Strasberg. Ce qui me désole, c'est qu'a fil des pages j'ai un coup l'idée que beaucoup de ce qu'ils disent va de soi, un coup j'ai la désagréable sensation de passer à côté d'un truc.
Je devrais pas me prendre la tête comme ça, j'ai jamais eu de problème sur scène, y compris en milieu pro.
Ca ira.

Jour 6

Pour avoir déjà travaillé sous la direction de Juliette, je sais qu'on a un problème quand on bosse ensemble.
Mon gros souci, dans notre relation, c'est mon orgueil. En tout cas je le crois. C'est peut être la source du réel souci tangible, ma propension à l'ingérence dans le boulot des autres. Toujours dans une idée bienveillante je pense. Aussi peut être par simple orgueil. Mais C'est pas mon boulot. On a souvent du mal à marquer la frontière entre le réflexe d'entraide et l'ingérence pure et simple.
Les quelques trucs que j'avais proposés sur sa production de l'an dernier se sont avérés appréciés et utiles, certains apportaient même quelque chose. Et malheureusement, ça me conforte dans mon comportement.
Je serai pas capable de faire de la mise en scène. En tout cas, ça me paraît logique. Je peux imiter, comme quelqu'un qui me verrait sur scène imiterait un acteur plutôt que de le construire et de l'être. Peindre une façade sans construire le mur, d'une certaine manière. Du coup, je suppose qu'il me manque toute une science dont j'ai même pas connaissance pour faire de la mise en scène. Tout ce que j'ai, c'est des idées qui pourraient "le faire". Ça a marché jusqu'à présent. Je vais continuer les ingérences, quitte à ce que ça castagne avec Juliette.
Tout ça pour dire qu'en relisant le truc, je suis allé dans les appendices et ai découvert entre autres les trois lettres écrites par le vrai Yanek Kalyayev lorsqu'il était en prison. Les intégrer à la mise en scène ne pourrait être que bénéfique, si c'est bien mené. Je luis soumettrai l'idée. Encore faut il qu'on commence à bosser.

Jour 7

Je passe dans le quartier de l'université et je tombe par hasard sur Théo, celui à qui Juliette pense plutôt qu'à moi pour le rôle de Yanek. Théo est un ami, que j'avais rencontré sur la production bénévole de l'an dernier. Il est encore étudiant, mais il a une sérieuse maîtrise de son corps et des intentions justes. Cela dit, j'ai eu l'occasion de le voir uniquement sur une pièce comique et il avait trop peu de place pour que je puisse me faire une réelle idée. Il est sans doute très bon. Je pense pas que l'un puisse être meilleur que l'autre, mais en tant qu'étudiant de deuxième année, je me demande s'il sera capable d'encaisser le rôle de Yanek et surtout de le grandir.
On se dit bonjour et on mange un bout ensemble avec plaisir. Je fais une allusion au projet des Justes. Il n'a pas l'air de saisir. Sur l'instant, je me demande s'il a même déjà été mis au courant. Ne voulant pas marcher sur les plates bandes de Juliette, je change de sujet. Je n'arrête pas d'essayer de l'imaginer dans le rôle qu'on lui a prévu.
On se quitte après un repas sympathique, et je rentre chez moi.

Les gens très, trop orgueilleux qui ne gardent pas leur suffisance pour eux ne sont des minables aigris et désagréables que s'ils n'atteignent pas le but et la source de leur folie. S'ils y arrivent, ils deviennent des personnages, intéressants et passionnés. C'est en tout cas ce que nous apprend le cinéma.
Il faut que j'obtienne le rôle de Yanek.

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