Le spleen du plombier

J'ai emménagé dans mon nouvel appart il y a peu, et le ballon d'eau était plus que vieux, à changer donc. J'ai donc consulté mon agence pour qu'elle fasse le nécessaire, c'est comme ça que j'ai eu le premier contact avec lui, le plombier.
Au téléphone, des phrases simples, bien souvent approximatives, couplées à un fort accent africain. Il balbutie, il est peu assuré. Il n'en faut pas plus pour que je dresse déjà le portrait dans ma tète, un immigré qui savait pas quoi foutre qui parle à peine la langue. Je pestais déjà à mon frère d'avoir encore un étranger comme artisan.

Peu après, il vient faire le devis chez moi, peu avant qu'il arrive, je l'ai encore au téléphone. Toujours pareil, balbutiement et compagnie, un coup de fil presque incompréhensible ponctué par mes "oui, d'accord, ok".
Finalement, il arrive chez moi. Un gros homme, noir, les cheveux coupé court, les fringues remplies de taches en tout genre, il sue, et sa démarche est lourde. Il porte dans son dos un sac informe, un sac de collégien rempli d'outils en tout genre. Pas une seule fois il ne me regardera droit dans les yeux. Il fait son devis en vitesse puis s'en va, aussi vite qu'il est venu, prétextant d'autres clients à voir. Qu'il en soit ainsi.

Finalement, il vient remplacer mon ballon d'eau lundi. Ce dernier m'a lâché ce weekend, donc il tombe à pic. Après une heure de retard, il m'appelle, s'excusant de son retard, un autre boulot lui avait pris plus de temps. Finalement, il arrive chez moi. Il commence à œuvrer après un peu de blabla technique. Son travail à moitié accompli, il vient me voir, me regardant timidement, et me demandant en s'excusant si je pouvais l'aider à descendre le vieux ballon d'eau jusqu'à son camion, je m’exécute bien sur.
Je dois avouer que ça a été une sacré merde de descendre ce truc rempli de calcaire et pesant un âne mort. Monter le nouveau s'est avéré plus simple.
Peu de temps après, il me voit travailler un DS, et me demande ce que j'effectue comme études. Après lui avoir répondu, nous avons engagé la discussion, et c'est la que son personnage à pris une toute autre dimension.

C'est l'histoire d'un homme qui très jeune était très bon au rugby. Il a joué, longtemps, est passé pro. Mais pas dans le top 14, pro en pro D2. Il a joué à Colommiers, Brive. Seulement voila, la jeunesse est arrivée et lui à pris sa place. Retourné chez lui, tout le monde lui tourne le dos, le raille, arguant qu'il aurait du travailler à l'école plutôt que jouer au rugby. A 35 ans, il se retrouve à devoir se trouver une nouvelle vocation, et c'est comme ça qu'il passe un BEP et embrasse la carrière de plombier. Il est vite employé par un gars qui passera son temps à le rabaisser, lui l'africain sans diplômes. Il regagne le respect de ses proches, mais en coulisses, son couple prend l'eau. Il en peut plus de sa femme, il est fatigué, il en a marre de se disputer en rentrant. Heureusement, elle lui prendra pas la tète pendant longtemps, elle s'en ira vite.

A 40 ans, le plombier se retrouve à devoir suer sang et eau, jour après jour, pour un salaire de misère, il déteste son job, son patron. Il pèse une bonne centaine de kilos, et ne parle toujours pas correctement français. Quand il rentre chez lui, il retrouve la froideur d'une maison vide. Ce qu'il a pour lui, c'est le fantôme d'un rêve avorté, celui de pouvoir vivre de sa passion.

Une fois son travail fini, il m'a serré la main, pour la première fois depuis que je le connais, puis après l'avoir brièvement remercié, il est allé faire les bases besognes d'un autre. Et j'avoue que ça m'a retourné, je ne cesse d'y penser depuis.

Tl;dr : Discussion avec un plombier que j'avais mal jugé qui m'a fait changer d'avis à son égard, et relativiser sur ma vie.